Alakhbar - Mohamed Ould Mouloud, chef du parti d’opposition mauritanien UFP et candidat aux dernières présidentielles, estime qu’il faut « dépasser la crise de confiance » avec Mohamed Ould Ghazouani et « ouvrir la voie à de possibles échanges sur la situation du pays » avec le nouveau chef d’Etat.
« La contestation du titre de Président de la République n’a plus sa raison d’être sur le plan juridique et légal », considère-t-il.
Dans cette interview à Alakhbar Mohamed Ould Mouloud indique également que la contestation au sein de l’UFP « a pris la forme d’une rupture injustifiée ».
ALAKHBAR : Qu’est ce qu’il y avait de particulier dans votre rencontre avec le Président Ghazouani ?
O. Mouloud : C’était une prise de contact sans rien de très particulier, sauf que la rencontre a eu lieu. N’oubliez pas que j’étais candidat à l’élection présidentielle (de juin 2019 ndlr) dont j’ai contesté les résultats avec les trois autres candidats de l’opposition.
Cela constituait un contentieux très sérieux avec le Président actuellement en exercice. Le fait de se retrouver avec lui était très important pour briser la glace et ouvrir la voie à de possibles échanges sur la situation du pays.
ALAKHBAR : Vous contestez la légitimité de Ghazouani. Alors, qui avez-vous rencontré, le Président de la République ou, simplement, Mohamed Ould Ghazouani ?
O. Mouloud : Le contentieux électoral sur le plan juridique légal est dépassé. La contestation de son titre de Président de la République n’a plus sa raison d’être sur le plan juridique et légal. Maintenant, le fait que nous ayons contesté les résultats de l’élection présidentielle c’est une positon politique.
C’est à dire notre appréciation particulière, à l’opposition, que ces résultats électoraux n’étaient pas honnêtes. C’est un avis que nous gardons et qui a, surtout par conséquent, provoqué une crise de confiance qui se résout par la discussion et le dialogue et qui peut être dépassée.
ALAKHBAR : Autrement dit, vous acceptez la légitimité de Ghazouani.
O. Mouloud : Il ne s’agit plus de revenir en arrière pour contester les résultats ou demander leur révision voire de nouvelles élections. Cela serait chercher la solution dans le rétroviseur. Mais nous pouvons - c’est notre choix - envisager la solution de l’avant, à travers un dialogue positif pour que les prochaines élections se fassent sur des bases, désormais, justes, transparentes et consensuelles.
ALAKHBAR : A votre avis, Ghazouani va-t-il pouvoir apaiser la scène politique ?
O. Mouloud : Je suis un observateur comme vous. Il y a les impératifs dictés par la situation. S’il les prend en main et tient compte des attentes des populations, je pense qu’il pourra faire progresser le pays.
ALAKHBAR : Etes-vous de ceux qui pensent que Ghazouani est sous la tutelle de Aziz ?
O. Mouloud : Je pense que les médias sont en train de faire de Ould Abdel Aziz un fantôme qui vient, le soir, hanter la Présidence de la République et faire peur à Ould Ghazouani (Rire). L’ancien président c’est fini. Il est parti. L’équipe nouvelle a tous les pouvoirs.
Si elle n’assume pas ses responsabilités, ce sera à elle qu’il faut s’en prendre. Mais aussi transformer Aziz à un épouvantail ou un fantôme qui hante la Mauritanie, pour faire peur aux gens, est une tactique des groupes d’intérêts qui profitaient et qui veulent que rien ne change dans ce pays.
ALAKHBAR : La député Khadiata Malick Diallo vous accuse d’être responsable de la crise au sein de l’UFP. Quelle est votre réponse ?
O. Mouloud : Je n’ai pas à répondre à des accusations. On nous demande de ne pas douter des résultats des élections, alors que le processus était unilatéral, nous n’étions pas associés et, pour l’UFP, les résultats visibles de la campagne électorale et de la mobilisation ne correspondaient pas à ce qui était attendu, pas seulement par nous, mais par tous les observateurs. Donc nous sommes en droit de douter.
La question c’est : Comment transformer ce doute en casus belli au niveau d’un parti ? Malheureusement, leur contestation a pris la forme d’une rupture complètement injustifiée. D’abord, en contestant notre contestation, il y a eu la rupture par rapport à la présence aux instances.
On nous dit : Vous contestez les résultats, on ne vient plus aux instances, on ne respecte plus les règles de fonctionnement du parti et sa discipline et on attaque la Direction. Ensuite, on ne répond plus aux invitations pour discuter et on ne reçoit pas les gens. C’est pour vous dire que finalement la cause est inexplicable.
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ALAKHBAR : Vous semblez minimiser la crise, alors que de hauts responsables du parti ont été sanctionnés.
O. Mouloud : La crise c’est la crise. Ils ont pris l’initiative de faire la rupture immédiatement après que le parti a considéré que les résultats que nous a donnés la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante) n’étaient pas crédibles. Ils sont allés en campagne contre le parti à cause de ça. Ou on ne sait pas exactement à cause de quoi, mais, en tout cas, c’était ça l’élément déclencheur de leur attitude.
ALAKHBAR : La contestation est précise. Elle est contre votre candidature à la présidentielle. Et, finalement, vous n’avez obtenu que 2.44%.
O. Mouloud : Même s’ils ont un point de vue sur les résultats, ils auraient pu le poser dans le cadre du bilan qui était en cours. On était en train de discuter du bilan au sein du parti. Et avant les élections, on avait dit que, juste après, nous allons engager des débats sur tout, y compris le bilan de toutes nos actions antérieures et la révision de nos textes pour préparer le congrès qui va être le cadre de la révision générale. Mais on était surpris du fait qu’aussi qu’ils ne voulaient plus de débat ou de congrès qui sont les seuls moyens de résoudre les divergences au sein d’un parti.
Je rappelle que la décision de participer aux élections a été discutée très longtemps par les instances du parti, par le Bureau exécutif et, en dernier ressort, par le Conseil national. Elle a été votée au Conseil national par 73% contre 0 % des voix, avec 16 abstentions.
Donc, ce n’était pas une décision du Président ou d’un petit groupe. Elle a été prise au Conseil national. Deuxièmement, c’était une réclamation de toute l’opposition démocratique, le RFD, l’UNAD, les mouvements de jeunes sur Facebook, etc. Vous vous rendez compte que tout le monde réclamait que l’opposition démocratique ne pouvait pas être absente de la scène.
Donc l’objectif politique a été atteint, largement. Notre programme a été présenté à toute l’opinion publique. Nous avons été dans toutes les wilayas. Finalement, nous avons eu une adhésion massive qui s’est traduite par les grands meetings que nous avons tenus.
ALAKHBAR : Pourquoi un parti traditionnel comme l’UFP obtient un faible score à la présidentielle ?
O. Mouloud : Si les élections sont unilatérales avec une préméditation à faire des résultats - la seule raison qui explique l’obstination du pouvoir à faire écarter l’opposition du processus électoral et de la CENI - à partir de ce moment-là, elles ne sont plus analysables, les élections, parce que frauduleuses.
ALAKHBAR : Comptez-vous briguer un nouveau mandat à la tête de l’UFP ?
O. Mouloud : Posez-moi la question à la veille du Congrès.
ALAKHBAR : Pourquoi l’opposition ne demande plus la dissolution de la Garde présidentielle, BASEP qu’elle accusait de faire des coups d’Etat ?
O. Mouloud : Nous demandions la normalisation de l’organisation des Forces armées. Ce n’est pas normal qu’il ait des unités de l’Armée qui échappent au commandement militaire unique. Mais, nous n’avons pas d’animosité particulière par rapport à une unité de l’Armée. Ce qui existait c’est qu’il y avait une unité, le BASEP, qui échappait au commandement de l’Armée. Maintenant, si tout est intégré et les règles militaires respectées, ce sera au Président élu d’apprécier s’il a autour de lui des unités régulières ou une milice répondant aux ordres de quelqu’un d’autre.
ALAKHBAR : Quel commentaire sur les élections en Tunisie et sur le début de soulèvement contre le Président Al-Sissi en Egypte ?
O. Mouloud : Les peuples sont en train de prendre l’initiative. Les pouvoirs, institutions ou partis politiques qui pensent que l’initiative est sous le contrôle des régimes autoritaires ou des partis politiques doivent analyser cette situation nouvelle où nous voyons des peuples bouger d’eux-mêmes, parfois mettre à la marge les partis politiques et, en tout cas, mettre au défit les pouvoirs en place, même les pouvoirs militaires.
Je crois que c’est une donne qui n’est pas nouvelle, parce qu’il y a eu déjà le Printemps arabe et beaucoup de mouvements dans le monde, mais cela veut dire un retour des peuples au devant de la scène politique. Tout le monde sera bien avisé d’en tenir compte au niveau des pouvoirs politiques en place et des partis d’opposition.