Perte de la nation : Il y a trois ans et précisément en mai 2017, le Professeur Cheikh Horomtallah prenait, aux heures du fejr, le chemin du non-retour avec une blessure de balle mortelle en sortant de la mosquée après la prière. Il succombera de ses blessures quelques temps après un coma ; ce fut un choc intense et immense pour ceux qui l’ont connu.
A ce jour, rien sur la vérité de ce crime ! Où en est la procédure judiciaire ? Quid de l’enquête si elle existe, il y a de quoi s’interroger ? Trois ans après, aucune communication publique du Parquet de la République sur cette affaire. Nous avons droit à l’information, celle qui est publiable ou communicable ... au moins. Rien ne filtre… que dalle !
Et pourtant, nous avions appris de lui en 1991-1992 avec le cours du droit pénal général, la célèbre maxime de la jurisprudence latine : « A qui profite le crime » ?
Notre Pr. Horomtallah laisse, derrière lui, également d’autres orphelins étudiants, collègues d’universités, confrères du barreau, camarades, etc. Au sein de l’État et du secteur privé notamment des professions libérales juridiques, il a eu plusieurs promotions de disciples durant près de trois décennies. Pratiquement, toutes les promotions nationales de juristes mauritaniens avaient bénéficié de son savoir : un parcours qui restera gravé dans les annales de l’enseignement universitaire et professionnel en Mauritanie.
Aujourd’hui, nous continuons encore à pleurer notre regretté Pr. Horomtallah aux qualités humaines et professionnelles incomparables. Tant du point de vue de la rigueur qu’il tenait de son métier que de ses compétences, il fut un homme humble, courtois et un modèle de l’esprit citoyen : une perte pour la nation.
Témoignage du disciple : Me remémorant de ces journées sur les bancs de la classe vers les années 1990 à 1993, j’avais en face un professeur avec qui nous avions enrichi notre vocabulaire avec le terme infracteur, élément moral, matériel ou légal, j’en passe et qui accordait une attention particulière à toute la classe : un ton et un accent soutenus plombaient l’atmosphère de la salle à travers ses explications et ses dictées de cours. De mémoire, une présence comme ce soleil au zénith, voilà un professeur qui arrivait et sortait toujours à l’heure.
De mémoire, notre classe était toujours pleine d’étudiants ; personne ne voulait s’absenter au cours du professeur Haromtallah. De mémoire, le professeur en mettant le pied dans l’enceinte de l’université, se dirigeait directement vers la salle de classe, faisait son cours et sortait de l’enceinte de l’université dès la fin la séance.
De mémoire, le professeur était toujours bien habillé comme il est de tradition dans les facultés de droit ; l’on constatait une grande méticulosité à tous les critères de l’enseignant modèle qui se devait de servir comme exemple aux apprenants. On dirait un missionnaire divin pour la culture du droit et de l’esprit citoyen au profit des enfants du pays et cela n’est pas totalement faux.
De mémoire, les étudiants que nous étions à l’époque et comme le vécu naturel, avions toujours des observations, des remarques (parfois pas agréables voire peu respectueuses, on en garde toujours) sur les professeurs mais j’avoue qu’à l’endroit du Pr. Horomtallah, certains de mes camarades de classe le reprochaient d’être toujours à l’heure et toujours présent pour faire son cours. De mémoire, je n’avais pas eu à entendre d’autres observations particulières sur le Pr. Horomtallah.
Nous étions unanimes, déjà en tant qu’étudiants, que notre professeur ne s’occupait que de son travail d’enseignant, les affaires et la vie des autres notamment de ses collègues ne l’intéressaient pas malgré certaines questions ou remarques insistantes parfois d’étudiants sur d’autres professeurs. Une chose visible semblait le tenir à cœur : c’était son travail et les cours qu’il dispensait aux enfants du pays avec la plus grande rigueur professionnelle. Nous n’avions jamais eu à regretter ces qualités. D’ailleurs, elles ont été des repères professionnels pour certains de ses anciens étudiants aujourd’hui devenus également professeurs et enseignants à l’université ou dans d’autres écoles d’enseignement supérieur professionnel, avocats, magistrats, etc.
Témoignage du professionnel : J’ai eu, il y a une dizaine d’années à piloter un programme de renforcement des capacités juridiques au profit de professionnels du droit. Et dans ce cadre, le projet dans l’urgence, m’avait demandé de trouver quelqu’un pour dispenser une session de cours de droit pénal et de procédure pénale. Je n’avais même pas hésité à contacter mon cher professeur pour lui faire la proposition et il était très honoré et partant. Mais, il exigeait un délai supplémentaire pour faire la session de formation. Etant soumis à une obligation avec un calendrier posé d’avance et non décalable par les responsables du projet, aucune possibilité à différer la session de formation n’était possible. J’avais insisté auprès de mon professeur pour qu’il fasse cette session car étant convaincu de ses qualités professionnelles et de son apport intellectuel pour les bénéficiaires de la formation : pour moi, il n’avait nullement besoin de ce délai pour faire cette session de cours.
Mon cher professeur connu pour son professionnalisme, sa rigueur me fit comprendre avec une politesse d’usage et habituelle pour les grands de sa nature qu’il était dans l’impossibilité de faire cette session pour des raisons de date rapprochée. Et pourtant, il savait bien que cette formation était assortie d’une rémunération très alléchante. Un non catégorique à défaut de délai supplémentaire pour préparer un cours qu’il a fait et refait des années durant et qu’il connaît du bout de ses ongles pour avoir enseigné et écrit cette matière durant plus de vingt ans. Ses deux livres en droit pénal et en procédure pénale constituent une mine de savoirs pour les pénalistes et juristes en général. Hélas, je finis par abdiquer et me consoler face à la énième leçon que venait de me dispenser mon professeur et ami. Nous avons le devoir de respecter nos doyens...
L’humain exceptionnel : Il s’agit là d’un homme aux fortes qualités humaines, avec de très grandes compétences et d’une très grande humilité à l’égard de tout le monde mais aussi à l’égard de ses collègues, de ses anciens étudiants devenus pour certains des confrères dans le barreau où il exerçait également en tant qu’avocat. Au passage, nos meilleures pensées à son ami et associé, le doyen Maitre Yacouba Diallo.
Pour beaucoup de ses étudiants, il demeure encore une référence morale et professionnelle dans un environnement fortement marqué par des attitudes non désintéressées et politiques faussant des relations professionnelles et amicales comprimées dans cette bulle en zone de turbulence permanente… même en période de confinement.
Et à juste titre, il faut le rappeler, les qualités du Professeur ont été confirmées à deux reprises à travers les décorations ou reconnaissances qui lui ont été accordées : titre de meilleur professeur de la faculté des sciences juridiques et économiques qui lui a été décerné en 1997 et aussi un second titre de l’excellence qui lui a été décerné par les étudiants de la même faculté en 2009.
Le Professeur ami : Aussi, fort de la relation que j’avais avec mon doyen et professeur, je lui avais demandé l’autorisation de publier le résumé de son livre ainsi que sa biographie sur le site Internet de mon cabinet. Il me fit l’honneur en acceptant ma demande et cela a été fait et à ce jour cette publication sur notre site Internet est toujours disponible et la restera toujours.
Conclusion : Mais au-delà de ce témoignage un peu ramassé sur une période trentenaire et produit en pleine journée de fin de ramadan el kerim, il y a trois ans, exactement un matin du mois de mai 2017 qu’il avait reçu une balle dans la tête, à ce jour nous souhaitons encore savoir ce qui s’est réellement passé. Sa famille, ses parents, ses étudiants et les citoyens de manière générale ont le droit de savoir réellement ce qui s’est passé. Nous ne devons pas nous taire face à de telles situations car cela peut malheureusement arriver à chacun d’entre nous. Il nous revient, sans exception et face au devoir de conscience, de vaincre l’oubli, la peur, l’ignorance et pour que le droit soit dit.
Peut-être, pourrait-on nous consoler provisoirement en donnant à la faculté de droit le nom Cheikh Horomtallah ? Oui, non à l’oubli. Naturellement, je serais favorable et honoré à toute initiative ou démarche en ce sens.
Nous avons la chance, au-delà du fait que le droit à la justice appartient à tous les citoyens, que la justice est également administrée, en partie, par des juristes qu’il a eu à enseigner : de grâce, nous disons non à l’oubli de notre regretté Pr. cheikh Horomtallah.
Me Aliou SALL
Ancien étudiant du Professeur
Confrère et ami du Professeur
Avocat
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