Approuvé par l’Assemblée nationale, rejeté par le Sénat, le projet de révision constitutionnelle sera bien soumis à référendum le 15 juillet. Mais le débat continue de faire rage.
C’est parti pour le référendum constitutionnel, fixé au 15 juillet. Le Conseil des ministres du 20 avril a confié à la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) la supervision de tout le processus, à commencer par un recensement complémentaire pour mettre à jour les listes électorales de 2014.
La majorité, Union pour la République (UPR, parti présidentiel) en tête, ainsi que l’opposition modérée, notamment l’Alliance populaire progressiste (APP, de Messaoud Ould Boulkheir), font campagne pour le oui, jusque dans les coins les plus retirés du pays, sollicitant l’appui des notabilités tribales et religieuses.
« Dialogue inclusif » entre la majorité et l’opposition modérée
De son côté, l’opposition radicale se met en ordre de bataille : le Forum national pour la démocratie et l’unité (FNDU), auquel participent l’Union des forces de progrès (UFP, de Mohamed Ould Maouloud) et Tawassoul (islamiste), ou encore le Rassemblement des forces démocratiques (RFD, d’Ahmed Ould Daddah) et l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA, de Biram Dah Abeid) multiplient les manifestations pour empêcher la tenue de cette consultation, qu’ils estiment inutile et coûteuse. Difficile cependant de savoir, pour le moment, s’ils appelleront au boycott du scrutin ou feront campagne pour le non.
Le motif de cet affrontement remonte au « dialogue inclusif » organisé, entre la majorité et l’opposition modérée, du 29 septembre au 20 octobre 2016, qui a abouti à la décision de modifier la Constitution sur les points suivants : suppression du Sénat, création de conseils régionaux élus, suppression de la Haute Cour de justice, du Haut Conseil islamique et du médiateur de la République, tous trois intégrés dans le Conseil supérieur de la fatwa, adjonction de deux bandes rouges au drapeau mauritanien et de quelques paroles à l’hymne national en hommage aux martyrs de la nation.
Après quatre mois de tergiversations sur la procédure de révision à suivre, l’exécutif décide d’en passer par l’article 99 de la Constitution, qui prévoit un vote séparé de l’Assemblée et du Sénat, à la majorité des deux tiers. Le 9 mars, les députés adoptent le projet, mais, le 17, les sénateurs – appartenant pourtant majoritairement au camp présidentiel – font capoter le processus en refusant, par 33 voix sur 56, d’approuver leur propre disparition.
Le président peut, sur toute question d’importance nationale, saisir le peuple par référendum
En colère, le président Mohamed Ould Abdelaziz choisit alors de passer outre et d’utiliser l’article 38 de la Constitution, selon lequel « le président de la République peut, sur toute question d’importance nationale, saisir le peuple par référendum ».
Ce choix, annoncé par le chef de l’État le 22 mars, déclenche une vive polémique entre spécialistes du droit constitutionnel. Il y a ceux qui estiment que seul l’article 99 est adéquat et que le référendum n’a plus lieu d’être après le refus du Sénat, et ceux qui jugent que l’article 38 autorise le président à appeler le peuple à se prononcer malgré l’opposition du Sénat.
Pour Lô Gourmo Abdoul, avocat au barreau de Nouakchott et professeur de droit public à l’université du Havre (France), c’est à bon droit que le gouvernement a, dans un premier temps, engagé la procédure prévue dans le titre XI de la Constitution sous le titre « De la révision de la Constitution », avec ses articles 99, 100 et 101 qui en déterminent les modalités.
« Une fois que les deux chambres se sont prononcées à la majorité des deux tiers, il revient au chef de l’État de choisir entre deux voies : soit il réunit en Congrès les deux chambres, qui doivent voter la réforme constitutionnelle à la majorité des trois cinquièmes ; soit il demande au peuple de se prononcer par référendum », souligne-t-il, rappelant que la vox populi s’exprime donc soit par sa représentation, soit directement, sans intermédiaires.
« Le problème est qu’il existe un article 38 qui autorise le président à recourir au référendum “sur toute question d’importance nationale”, mais sans préciser dans quels cas et selon quelle procédure », poursuit Me Lô Gourmo. Selon lui, l’article 38 est subordonné à l’article 99, qui contient, par exemple, la garantie de préserver la forme républicaine de l’État mauritanien ou l’intangibilité de la limite du nombre de mandats présidentiels à deux.
Un pouvoir sans limite ?
« Ceux qui jugent que l’article 38 est autonome par rapport au titre XI et à l’article 99 donnent au président un pouvoir sans limite, analyse-t-il. À preuve, la Constitution du Burkina Faso n’avait pas l’équivalent de notre article 99, et c’est ce qui a permis à son ancien président de tenter de remettre en question la limitation des mandats présidentiels. »
Le juriste reconnaît que l’article 38 a son utilité, mais uniquement quand le président se trouve confronté à un veto législatif. « Par exemple, si sa majorité est hostile à un accord international qu’il préconise, le chef de l’État peut consulter le peuple pour pouvoir signer cet accord malgré tout », remarque Lô Gourmo.
Les sénateurs n’étaient-ils pas juges et parties quand ils ont refusé la disparition de leur assemblée ? « Rien n’empêche une institution de se prononcer sur son existence, rétorque-t-il. On reproche aux sénateurs d’avoir dit non à la réforme pour sauver leurs sièges, mais ils ont été malmenés : ils ont appris le sort qui leur était réservé par voie de presse ! Si le président leur avait expliqué les raisons de la suppression du Sénat, s’il leur avait donné des compensations, s’il avait fait preuve au préalable d’un minimum d’égards à leur endroit, on n’en serait pas là ! Mais il a tellement l’habitude de passer en force qu’il n’imaginait pas une seconde la possibilité de leur refus… »
La vraie question est de savoir si, après avoir utilisé l’article 99, le pouvoir peut revenir à l’article 38
Pour Aly Fall, professeur de droit public à l’université de Nouakchott, « la vraie question est de savoir si, après avoir utilisé l’article 99, le pouvoir peut revenir à l’article 38 ». Plusieurs lois fondamentales étrangères (article 11 de la Constitution française et article 46 de la Constitution sénégalaise) autorisent le chef de l’État à consulter le peuple directement et, selon lui, il en est de même en Mauritanie.
« Je ne vois pas pourquoi on jetterait l’anathème sur celui qui utilise l’article 38, d’autant que les réformes proposées ne concernent pas le mandat présidentiel, qui fait effectivement partie de l’article 99, déclare-t-il. J’ai dit à l’un des rédacteurs de notre Constitution que, s’ils avaient voulu que l’article 99 soit la voie exclusive pour une révision, ils auraient dû l’inscrire noir sur blanc. »
Aly Fall juge qu’un boycott du scrutin par l’opposition serait la reconnaissance par celle-ci qu’elle n’a pas d’arguments solides contre la réforme et qu’elle redoute d’en débattre sur la place publique. Car l’opposition persiste à interpréter le référendum comme une manœuvre du président destinée à perpétuer son pouvoir, soit directement, soit par le truchement d’un homme de paille, même si on ne voit pas en quoi les réformes prévues iraient dans ce sens.
La rébellion des sénateurs
Le mouvement de révolte du Sénat, qui se poursuit, confirme en creux que le président ne briguera pas un troisième mandat – pour l’instant inconstitutionnel. En effet, la rébellion des sénateurs s’explique par le fait qu’ils n’ont plus peur d’un homme qui ne sera plus au pouvoir en 2019. Le président a bel et bien perdu la main sur une partie de ses troupes.
L’opposition se trouve devant un dilemme. Si elle boycotte le référendum, le oui l’emportera automatiquement et la procédure de l’article 38 sera de facto validée par le vote populaire. Si elle y participe en appelant à voter non, elle validera également l’usage de l’article 38, mais peut espérer avoir quelques chances de tenir le pouvoir en échec. À condition qu’elle parle d’une même voix, ce qui n’est pas sa tendance naturelle.
L’opposition voit dans ce scrutin une manœuvre du président destinée à perpétuer son pouvoir.
Touche pas à mon drapeau !
Avant son décès, le 5 mai, l’ex-président Ely Ould Mohamed Vall avait cloué au pilori les réformes constitutionnelles envisagées, notamment la modification du drapeau.
« Il est inacceptable de changer de façon brutale les symboles de la nation les plus importants, à l’image de notre drapeau, qui a flotté durant des décennies au-dessus de la tête des Mauritaniens et creusé au fil du temps sa propre place dans leur esprit, symbolisant ainsi leurs sacrifices et leur gloire depuis la création de l’État », martelait-il.
Le drapeau est une des constantes intouchables
Il ajoutait que « le drapeau n’est pas la bannière d’une période politique déterminée ou d’un régime particulier. C’est une des constantes intouchables, sauf en cas de nécessité absolue et avec un consensus exprimé par référendum, justifié par des arguments rationnels et organisé dans une totale transparence ».
Jeune Afrique