Depuis que les Etats arabes ont reçu en chèque blanc l’indépendance formelle et que leurs dirigeants ont exercé leur appétit d’exploitation en solo de toutes les potentialités de leur nation, sur terre et sous les ciels, nous ne voyons nulle réalisation d’importance susceptible de faire avancer leur peuple au diapason des grandes nations vers le bien-être, la liberté et la prospérité. Si ce n’est la capacité extraordinaire à se maintenir au pouvoir, la propension à dilapider les richesses et l’inclination à mater les aspirations légitimes de leur peuple.
Soudain, voilà que l’attelage s’ébranle, comme un automate, meurtri, perdant, sans atouts ni distinctions, à part de rarissimes cas ici et là. Et nous assistâmes à une merveille : l’un de nos pays, non pas le plus vaste d’entre eux par la superficie, ni le plus peuplé démographiquement, ni le plus nanti financièrement, brise les chaînes, s’affranchit des contraintes, se libère du joug, lève les barrières imposées à la parole. Se révéle alors à la liberté enfreinte, al-Jazeera, en un globe envahi par la tyrannie, couvert de tourments, où le génie créatif est tué et l’ambition brisée, où règne la trilogie bestiale : silence, subsistance et claustration chez soi.
Il me souvient d’avoir lu une fois dans le magazine arabe « al-Majalla » dans l’un de ses numéros de l’année 1993, un article d’un journaliste du Qatar évoquant le cas d’une chaîne de télévision qatarie en préparation, qui serait iconoclaste et inédite.
Sceptique, je me suis posé la question : Comment la nouvelle chaîne serait-elle différente des multiples chaînes arabes parcellaires qui existaient alors ? Et dont les journaux d’informations s’articulent autour d’accueils, d’accompagnements, de glorification du dirigeant et de ses hommes-liges, au son d’une musique solennelle? Suivait alors un flot de propos flatteurs, une kyrielle de fausses réalisations.
La source de la question sceptique est l’étendue de l'espace mental pessimiste dans lequel je mettais la volonté officielle arabe, et je n’imaginai point que la Nation (arabe) porte dans ses entrailles des gens ayant l'hormone des grandes décisions, conscients de notre capacité à accomplir une réalisation importante!
J'ai lu dans un livre du grand écrivain Tayyib Saleh intitulé « oublié » qu'il eut à voyager en Inde à la fin des années 1980, avec un ami à lui fort intéressant du restepour préparer une vision d'une chaîne arabe non conventionnelle. Qui serait semblable aux grandes chaînes de télévision, telles que celles occidentales ou indiennes, ayant un grand potentiel et jouissant d’un espace de liberté de manière à servir les sociétés arabes et leur transmettre l’information, sans commune mesure avec la médiocrité ambiante.
Là, une petite faille survient dans cette généralisation ; dans la mesure où un régime arabe a planifié, étudié et décidé. Il a eu un succès. Et quel succès ! En soutenant la Nation et la civilisation (arabes) en accomplissant une réalisation à ajouter aux réalisations des grands.
Mieux, j’affirme sans ambages que la nation et la civilisation, en dépit de ses moyens financiers et humains, n’a rien fait de tel au cours des dernières décennies.
Et si l’occasion historique de réaliser un tel projet aussi grandiose était ratée, la voilà sous-développée et à la traine, nonobstant ses immenses potentialités dilapidées par le dirigeant et sa cour, au détriment des intérêts des citoyens et du développement du pays.
Cette réalisation a pour nom : al-Jazeera, la chaîne de télévision qui a fait connaître une nation méconnue, aux potentialités matérielles et humaines inexploitées diversement réparties entre les pays qui la composent.
Al-Jazeera s’est abattue sur nos excellents rabbins, les foudroyant au moyen d’un espace de liberté inédit, avec des effectifs humains exceptionnels par la compétence, le professionnalisme et l’audace.
Une chaîne à laquelle l’Etat du Qatar a donné la clé du succès, lui procurant les moyens financiers, protégeant la décision de sa création du doute, des interventions, supportant les conséquences de la préservation et de l’accompagnement d’un média vif et pugnace nouveau-né dans un mode stérile et atone.
De là date l’éveil des consciences d’une opinion publique arabe attentive devant un petit écran qui dépoussière une nation jadis oubliée, qui n’est plus obligée de rechercher l’information dans les médias étrangers d’Occident, à la quête de fragments épars d’une réalité ignorée par les médias arabes en dépit de leur multitude.
Soudain, des paraboles et satellites se dirigent vers nos pays, diffusant nos informations telles quelles, sans l’intervention d’une censure officielle prompte à couper tout ce qui ternirait l’image du dirigeant ou montrerait le mensonge de ses réalisations.
Chose jusque-là inouïe, al-Jazeera fait état de détentions et de multiples cas de torture dans les geôles arabes, dévoile ce qui était enfoui depuis des décennies.
Les émissions en direct se distinguent. Les peuples découvrent la corrélation entre le droit et la vie « charia wel hayatt, célèbre programme d’al-Jazeera», sans litige aisément et en un renouveau auparavant inimaginable. Le public découvre l’incroyable splendeur de l’émission « A contre-sens », alerte aux multiples points de vue en lice, soulevant des questionnements, discutant d’une réalité que l’on analyse « sans limites » préalables ni contraintes.
La « rencontre ouverte » expose avec sérieux et un excellent rendu arabe, les merveilles de la Muraille de Chine, à l’Est, et la splendeur des jardins d’Europe à l’Ouest. Al-Jazeera se distingue par la révélation de personnages illustres oubliés ; de l’histoire de chacun elle invite un témoin de cette époque, qui révèle des secrets cachés.
Il n’est jusqu’à la traîtrise des uns, au plus profond d’évènements houleux, jusqu’à la lâcheté des autres, tout passe sous le crible du « microscope », mettant en relief la souffrance à l’encontre d’une réalité douloureuse, à l’égard d’un vécu amer en raison d’une pauvreté insurmontable dans un monde qui ne manque décidéement pas de « points chauds » en ébullition, de manière à se focaliser « en profondeur » et avec clairvoyance sur l’actualité, notre actualité.
Pourtant, jadis, notre nation est qualifiée d’improductive, d’ignorante. Mais, al-Jazeera, à travers son « rendez-vous à l’étranger », nous présente des génies, des sommités issues de notre nation, qui ont su s’imposer en Occident, dans ses institutions académiques, scientifiques, administratives, financières, de renommée mondiale, par la seule force du mérite. L’Occident a mis à leur disposition autant de moyens que ceux dont dispose al-Jazeera, ils l’ont alors servi avec abnégation et dévouement.
Des figures illustres de la sphère politique, littéraire, artistique, de la résistance sont révélées à la nation grâce à la ténacité d’al-Jazeera, au moyen de sa « visite spéciale », sans oublier « l’économie et les gens », programme qui place le citoyen au cœur du circuit économique, d’où l’importance des préoccupations des ménages.
Tant et si bien que la situation économique est passée au crible, ce qui révèle les plans malvenus de nos misérables gouvernements. Et la grille de programmes distinguée d’al-Jazeera n’a pas omis tout ce dont dispose l’Occident, par la grâce d’Allah, de flux d’informations au service du citoyen, en matière de savoir, d’esprit de recherche. D’où l’intérêt pour « leurs archives » qui retracent « notre histoire ». Al-Jazeera demeure un « regard sur la Palestine » et les droits de l’homme.
Le Network arabe joue un rôle prépondérant dans la solidarité avec les victimes de catastrophe, comme dans la couverture des évènements, la diffusion des du spectacle désolant des guerres avec un courage et un esprit de sacrifice rares même au sein des grands médias occidentaux.
Il va sans dire qu’al-Jazeera a suscité l’esprit de concurrence, imposant son style dans le traitement médiatique. D’illustres hommes et femmes de médias l’ont rejointe, portant haut l’étendard d’un média arabe qui s’illustre par ses qualités.
C’est la liberté de l’opinion des uns et des autres. Au point que certaines tentatives paraissent semblables à des tests d’étudiants infortunés manquant de sérieux, de talent et d’audace. Ayant délaissé leurs études, ils n’ont d’autre choix que de s’adonner à la drogue et aux barbituriques. Oubliant que le Prophète, Prière et Salut sur Lui, disait aux retardataires : « Oukacha t’y a précédé ».
Al-Jazeera a pu nous dépoussiérer, nous tirant de l’oubli, montrant des images en toute beauté et ce qui nous illustre. A travers elle, des politiciens, juristes, intellectuels, lettrés, orateurs et sportifs ont paru a ugrabd public arabe. Et à travers elle, nous avons identifié nos souffrances.
Al Jazeera se distinguée par son appartenance à une nation dont les dirigeants ignorent la valeur réelle et Al Jazeera a fait de cette nation un atelier de programmes et de reportages, où le monde arabe excelle. Ce qui fait gagner à al-Jazeera le cœur du citoyen arabe, où qu’il soit.
Puis, Allah a voulu que sonne l’heure de la moisson de nos malheurs, à la faveur des tempêtes des « printemps » qui ont ébranlé les sentiments de la nation. En a jailli l’étincelle ayant déclenché le flot libérateur en un devenir, aboutissant au développement de la nation et à sa survie de la noyade.
Al-Jazeera fut le véhicule de la vague de furie ayant pris la nation arabe, esquissant les contours de la révolution place Tahrir au Caire, témoin de la grande évasion des tyrans autocrates.
Nous ne pourrions citer de façon exhaustive les qualités d’al-Jazeera et de son réseau qui, fût-il circonscrit à son site Web magnifique, et à sa rubrique culture, se distingue par ses analyses, par la qualité de son actualité, par le résumé des livres, ainsi que par la diversité de ses offres à la portée des chercheurs.
Et l’Institut d’al-Jazeera, qui est devenu l’orientation de journalistes sérieux, soucieux de se perfectionner, loin des élucubrations des facultés de journalisme.
J'ai entendu certains parler de ce que les sportifs considèrent comme une réalisation concurrençant les institutions financières de l'Ouest, leur arrachant les droits de diffusion sportive.
Al-Jazeera entame aujourd'hui sa troisième décennie. Elle a formé des esprits, propagé la science, brisé bien des tabous. Autant d’exploits que des États, des mouvements et programmes furent incapables de réaliser malgré les immenses capitaux dépensés en vain. Sans oublier le temps et l’énergie, consentis sans résultats.
Al-Jazeera, elle, y est parvenue. Comme si le poète, Ibn al-Qayyim, pensait à elle lorsqu’il dit :
من لي بمثل سيرك المدلل .. تمشي رويدا وتجي في الأول
Dont voici la traduction du poète Mohamed Yahya ould Abdel Wedoud, par ailleurs traducteur de cet article, en un diptyque d’alexandrins à rimes plates :
« Qui d’autre que Leïla marche, aussi fière,
« Avec lenteur arrivant toujours la première ? »
La survie d’al-Jazeera et sa préservation est une revendication de la nation arabe tout entière. C’est le désir de gens libres qui sacrifieraient ce qu’ils ont de plus cher. Même si la nation fût épargnée de la vague de dissensions internes pour le pouvoir à la quête de soutiens, ce qui est contraire aux valeurs usuelles, et que des parties se fussent empressées de recourir aux coups militaires, aux révolutions de palais aux relents familiaux, dans le seul but de satisfaire aux lobbies du chaos et de la normalisation, à mille lieues de la volonté des peuples ; au point de fermer al-Jazeera et d’imposer un blocus injuste au peuple du Qatar!
Si Christophe Colomb fut fier d'avoir découvert le continent américain et que les Hollandais le furent autant à l’égard de l'Australie, le Qatar peut se vanter d’avoir découvert al-Jazeera qui réunit les continents du monde dans un écran. Elle qui a convaincu le téléspectateur arabe agressé par ses médias qu’au sein de sa nation, il demeure cependant des médias susceptibles de parvenir à réaliser des objectifs majeurs et des idéaux sublimes !
Al-Jazeera a extirpé l’auditeur de la Radio de Londres, de la voix de l’Amérique, de Radio France Internationale, s’installant sur le trône de l’information. Ce faisant, elle est sans nul doute devenue une réalisation de la nation, nécessitant protection et soin, quel qu’en soit le prix.
Nos rabbins et al-Jazeera …
Par Mohamed Ghoulam El Hadj Cheikh
Traduction de Med Yahya Abdel Wedoud (O/ Hamoud O/ Abdel Wedoud)