Alors que le dauphin du président Aziz, Mohamed Ould Ghazouani, fait figure de favori pour le scrutin présidentiel de samedi, les cinq candidats de l'opposition battent aussi campagne, Sidi Mohamed Ould Boubacar et Biram Dah Abeid en tête, pour le pousser à un second tour.
Il se passe quelque chose d’inhabituel à Nouakchott. La circulation est fluide et la ville, d’ordinaire cacophonique, semble retrouver sa quiétude. Les candidats à l’élection présidentielle de samedi sont en tournée « à l’intérieur », et avec eux nombre de leurs militants. Ce n’est qu’à la nuit tombée, lorsque la musique et les chants retentissent sous les khaïma, ces grandes tentes traditionnelles, que la capitale mauritanienne semble retrouver une effervescence pré-électorale.
En 2014, la campagne n’avait pas eu lieu. La réélection de Mohamed Ould Abdelaziz était acquise et le scrutin avait été boycotté par la majorité de l’opposition – laquelle avait appelé les électeurs à ne pas aller voter, cristallisant les tensions autour du taux de participation. Cette fois, la donne a changé. Le président sortant, respectant la Constitution lui interdisant de briguer un troisième mandat, a décidé de soutenir son ancien chef d’état-major, qui est aussi et surtout un de ses très proches amis : Mohamed Ould Ghazouani.
Propulsé loin des casernes, seul face aux Mauritaniens, ce général à la retraite qui n’avait jamais pris la parole publiquement peine à combattre sa discrétion naturelle. « Il s’excuse presque d’être là, glisse un membre de son premier cercle. L’usure du pouvoir, on ne la ressent pas chez Aziz, mais chez lui. »
Co-artisan de la lutte anti-terroriste, cet éphémère ministre de la Défense – de novembre 2018 à mars dernier – promet aux Mauritaniens de faire, s’il est élu, de l’éducation et de la justice sociale ses priorités. Issu de la tribu des Ideiboussat, il est assuré du soutien du réservoir de voix très important que constitue l’est du pays, dont il est originaire – il a grandi dans l’Adrar et y a conservé de solides relations. La conquête du Trarza (Sud-Ouest) sera par ailleurs décisive.
Alliances et dynamiques
Cinq candidats sont bien décidés à pousser Ghazouani à un second tour. Parmi eux, Sidi Mohamed Ould Boubacar est celui que l’on n’attendait pas. Ambassadeur à la retraite, cet ancien Premier ministre qui a occupé de nombreuses fonctions sous le régime autoritaire de Maaouiya Ould Taya s’était fait oublier des Mauritaniens, à qui il assure aujourd’hui que l’économie sera au centre de ses préoccupations.
À ses côtés s’activent les islamistes « modérés » de Tawassoul, omniprésents. Ce soutien de la première force d’opposition est crucial, mais ne serait-il pas aussi encombrant ? Le candidat rappelle volontiers qu’ « une vingtaine » de formations, dont Hatem de l’ex-putschiste Saleh Ould Hanena, l’appuient également. S’il n’est pas élu samedi, et qu’il ravit la seconde place, il pourrait rebondir en tant que chef de l’opposition.
Ould Boubacar prend grand soin de commencer à rassembler, en ne faisant pas de Biram une cible »
l« Il prend grand soin de commencer à rassembler, en ne faisant pas de Biram une cible », commente un ex-ministre. Tant du côté du pouvoir que de l’opposition, les avis sont en effet unanimes : Biram Dah Abeid fait une très bonne campagne. Le militant antiesclavagiste, leader d’IRA-Mauritanie, allié au parti nationaliste arabe Sawab, n’a rien perdu de sa verve et déplace les foules. Très populaire auprès des jeunes et proche de son électorat traditionnel, les Halpulaar et une partie des Haratines, il s’est construit en opposition aux militants historiques Boydiel Ould Houmeid, Samory Ould Beye, Boubacar Ould Messaoud ou encore Messaoud Ould Boulkheir.
Le soutien de ce dernier à Ghazouani peut-il lui voler des voix ? « Ce ralliement est surtout symbolique pour Biram, explique Moussa Ould Hamed, ancien patron de l’Agence mauritanienne d’information. Ceci dit, il est difficile en Mauritanie de parler d’électorat politique traditionnel. On ne peut pas savoir pour qui les électeurs votent. »
Les défis de Biram
Kane Hamidou Baba, qui a annoncé sa candidature en pulaar, s’affiche comme le principal rival de « Biram » – lequel n’a pas participé aux discussions sur une candidature unique de l’opposition, ayant été le premier à annoncer la sienne. « KHB » a été choisi par la coalition « Vivre ensemble », dont font notamment partie l’AJD/MR d’Ibrahima Sarr ou les FPC de Samba Thiam, pour la représenter.
Autre défi pour Biram : devancer Mohamed Ould Maouloud, figure de l’opposition et patron de l’Union des forces de progrès (UFP), qui espère lui aussi incarner le changement. Ce militant de la première heure, cofondateur de l’ex-Parti des Kahidines de Mauritanie (PKM, composé d’étudiants maoïstes), mise sur l’absence d’Ahmed Ould Daddah – frappé par la limite d’âge fixée à 75 ans – dont il a le soutien. Enfin, la candidature indépendante de Mohamed Lemine El-Mourteji El-Wavi, haut fonctionnaire au Trésor jusqu’ici totalement inconnu des Mauritaniens, est considérée par certains comme anecdotique.
Par Justine Spiegel
Jeune Afrique