Je profitai alors de la lassitude qui semblait s’emparer de l’auditoire, spécialement des trois députés qui m’avaient interrogé (deux UPR et un « Frère musulman »), pour exprimer à haute voix la déception que je ressentais, eu égard aux motivations qui avaient présidé à ma convocation publique devant la Commission.
J’ai ainsi rappelé à mes interlocuteurs que j’avais milité dans les partis politiques et ce depuis leur création au début des années quatre-vingt-dix, initié certaines des premières listes d’opposition au Hodh Charghi, notamment à Adel Bagrou, Amourj, Bassiknou, et qu’avant cela, jeune étudiant, j’avais été engagé dans les organisations des droits de l’homme nationales et internationales.
J’ai par la suite occupé d’importants postes publics dont la présidence de l’Université de Nouakchott où j’étais à la fois recteur mais aussi président du Conseil d’administration, puis directeur de Cabinet du président de la République, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, président du parti au pouvoir, ministre de l’équipement et des transports, président de la haute autorité de régulation des télécommunications, ministre des affaires étrangères et de la coopération, ambassadeur à Londres et proposé au poste d’ambassadeur à Rome.
Durant ce long périple dans la haute administration publique, je n’ai jamais bénéficié ni fait bénéficier un membre de mon entourage familial, quelle qu’en fût la proximité, d’un seul « terrain » à Nouakchott ou ailleurs, alors que, comme directeur de cabinet de président, la distribution de ces « terrains » était de mon ressort.
Je n’ai jamais bénéficié d’une licence de pêche ou d’un quelconque autre avantage, car je ne l’ai jamais demandé à l’ex-président ; mon éducation traditionnelle au sein des campements nomades à Ahmed-Yengé et Var-Elkettane, me l’interdisait. Je rappelai que je n’avais jamais « réformé » un seul véhicule à mon profit ou au profit d’un membre de mon entourage familial, fut-il lointain, alors que j’en avais la latitude, spécialement à partir des parcs de l’Université de Nouakchott, de la présidence de la République ou du ministère de l’équipement et des transports…
D’ailleurs, je n’ai jamais possédé un véhicule « tout terrain », car je considère particulièrement indécent (« mitbejoui!») d’en posséder, spécialement dans un pays aux ressources limitées comme le nôtre, là où une petite voiture peut toujours faire l’affaire. Dans les bureaux où je passais, je n’ai jamais accepté d’apporter « une aiguille » de nouveaux mobiliers, ni peint les murs intérieurs, ni surélever les murailles extérieures, car de telles initiatives sont, en général, connues pour être les signes précurseurs de la gabegie et de la prévarication à grande échelle…. À ce propos et soit dit en passant ici, j’ai de tas d’anecdotes succulentes qui pourraient faire l’objet d’un écrit ultérieur…
Je conclus en précisant que les seuls bénéfices intéressants à mes yeux, tirés de ce long parcours étaient le confort de la conscience par rapport aux deniers publics et une capacité à exprimer librement et objectivement mes opinions sur la gestion des affaires de l’État, deux acquis immatériels des plus fragiles. Je relevai que le premier aspect, de loin le plus important à mon âge, était désormais gravement remis en cause, suite à la citation de mon nom, par la Commission parlementaire, dans l’enquête en cours sur la décennie précédente.
Le président de la Commission tenta bien et à plusieurs reprises, de m’interrompre, mais je réussis tant bien que mal à véhiculer l’essentiel du discours ci-dessus. Il finit par me ramener au « sujet principal » à savoir la fameuse île Tidra, et me demanda si je pouvais confirmer à nouveau que je n’avais aucune information à donner à ce sujet, ce que je fis sans sourciller.
À la fin de l’audience, toujours sous le choc, je demandai à dire trois choses :que je prenais à témoin les membres de la Commission au sujet de ma démission du poste d’ambassadeur à Rome, car je souhaitais consacrer tout mon temps, sur le court terme, à laver mon honneur des accusations gratuites portées à mon endroit par la Commission que je leur demandais, individuellement et collectivement, de bien vouloir transférer mon dossier à la haute cour, car seuls des juges peuvent désormais laver la « souillure » portée à ma dignité ou confirmer éventuellement ma culpabilité que je demandais à ceux d’entre eux qui le pouvaient de bien vouloir dire à « mon ami et frère » Brahim Ould Daddah, que « je n’étais pas à l’initiative du transfert de son fils de Washington à Banjul ».
À la simple prononciation du mot « démission » (« Istiqala »), un chaos s’installa dans la salle, certains membres de la Commission se pressant de me faire remarquer que « Hadha Mahou Laheg Dha Kamel!» (« ce n’est pas aussi important!», l’un des membres est allé plus loin, en parlant de son propre « cas ». J’eus envie de lui répondre : « ai-je jamais exprimé le souhait de vous ressembler, monsieur ? », mais je réussis à freiner « des quatre fers», juste à temps!…
Au sujet du second point, le président de la Commission me fit remarquer que je n’avais pas à leur faire « de leçon » sur leur travail ; il faut dire à sa décharge que j’ai fait de longues digressions volontairement hors-sujet. Sur le dernier point, il remarqua que c’était en dehors du « travail de la Commission ».
Sur ce, le président déclara l’audience close, je demandai alors : « puis-je disposer, monsieur le président ? » ; il me fit un vague signe de la main, absorbé déjà à interroger son téléphone portable…
(Fin)
Isselkou Ahmed Izidbih
Ex-Ministre des affaires étrangères
Souillure" suite et fin par Isselkou Ahmed Izidbih