Le président Ghazoauni "écrit" à son compagnon d'armes l'ex Chef de l'Etat Ould Abdel Aziz | L'Information

Le président Ghazoauni "écrit" à son compagnon d'armes l'ex Chef de l'Etat Ould Abdel Aziz

ven, 09/04/2020 - 12:48

L’illustre écrivain et journaliste mauritanien, également un ancien officier de l’armée, très renseigné sur les secrets de la Grande muette, en l’occurrence Brahim Bakar Sneiba, vient de publier une opinion intitulée « Chronique d’une rupture consommée : Lettre à un ami de quarante ans ».

 

 Bien au parfum des relations de longue amitié entre l’actuel et l’ancien présidents, tour à tour Ould Ghazaouni et Ould Abdel Aziz et passionné par l’écriture, il tente avec objectivité et impartialité de surfer sur le timing politique de l’heure et d’imaginer comment le dernier répond dans son profond intérieur aux points d’interrogations de cette «amitié» fragilisée voire totalement rompue sous les coups d’égo et de mépris du second.

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Cher ami. 

Salut ! Comment vas-tu ? – Moi, je me porte bien – Alhamdoulillah !

J’imagine et regrette fortement comment tu as dormi hier. Tu as changé d’habitude depuis la veille, mine de rien. Depuis plus de dix ans, tu as été couche-tard et lève-tard. Tant une cacophonie de sonorités remplissait ta chambre à coucher.

Les appels plutôt malveillants et bienveillants rivalisaient à parvenir à ton tympan de Président. Moi, bien entendu, j’étais de la partie, mais quand tu décrochais, tu es réconforté ; c’est la voie monocorde d’un ami, ayant un art consommé de parler doucement et de rendre supportables les faits les plus désagréables. Education soufi oblige.

Freud disait, à raison, que l’enfant et le père de l’homme. Autrement dit, tout homme est profondément marqué par son éducation ; par l’inné et l’acquis qui se sont noués dans le tréfonds de sa personnalité.

Hier, « le million » d’adhérents à l’UPR s’est évanoui dans la nature. Tu as certainement jeté un coup d’œil désespéré à travers la fenêtre, pour voir ne serait-ce qu’un seul apparatchik parmi la myriade de frotte-manches qui demandaient un troisième mandat à la criée. Volatiles, les thuriféraires se sont évaporés.

Amnésiques, ils semblent déjà t’avoir oublié. Mokhtar, à Moustapha, à Haîdalla, à Maawya… C’était ça. Tu retournas alors à ton lit (sans baldaquin ou sommier moelleux) pour te retourner et susurrer, le cœur transi de douleur « Ce n’est pas possible ! Ces mauritaniens sont-ils si fourbes ?

Ou bien tout simplement résilients à supporter une dérive monarchique de dix ans ? Mais je me rends compte, tout de même, que cet ancien ami que fut Ghazouani était extraordinaire de fidélité et d’amabilité » …Personne n’était visible à l’horizon limité par le mur de la villa appartenant à la DGSN…

Ayant mal dormi, tu te relevas langoureusement pour faire ta toilette. Tu te regardas la face dans le miroir ; tu es seul, tout - seul. Une seule présence virtuelle en revanche : ton image que reflétait un miroir aveugle. Le silence de ta geôle était assourdissant. Tu prêtas une oreille attentive au silence sifflant, pourvu qu’il soit percé par un décibel, pour t’assurer qu’en cas d’urgence quelqu’un était là.

Monsieur l’ancien Président,

Lorsque nos chemins se sont croisés dans les années quatre-vingt, ce fut une ironie du sort, se déclinant par une anecdote de notre sagesse populaire : L’esclave voyant une belle tortue, s’esclaffait, « Voilà une belle tortue que je la mange !

Mais de son côté le reptile était content d’avoir eu l’occasion rêvée de pisser sur un esclave. Tu avais dit dans ton for intérieur : « voici un jeune discret, docile et manipulable, tout en étant issue d’une famille prestigieuse ; je vais l’utiliser sans modération pour arriver à la charge suprême ». Moi je me suis dit « voila un jeune mégalomane, impavide et fonceur, qui déblaierait le chemin devant moi.

Poli à l’envi, patient comme un soufi, j’avais tout supporté de tes comportements excentriques. Je ne me suis pas trompé sur toi, mais très vite tu as été capté, voire captivé par ton entourage. Jamais je ne me suis occupé de la politique, que les malfrats et les prévaricateurs ont envahie, au mépris de toute règle de gestion et d’administration de la chose publique.

Officiellement je n’étais pas concerné outre mesure par tes agissements, toi étant responsable devant Dieu et les hommes, qui t’ont élu au suffrage universel, dans une ambiance pouvant être qualifiée, malgré tout, de transparente et de démocratique.

Evitant ce qui pouvait mettre fin à une amitié quasi- fusionnelle où tes enfants ont pris sur eux de m’appeler « papa », je me suis focalisé sur notre outil de défense, pour en faire une armée des plus performantes d’Afrique.

Un certain moment l’on pouvait constater deux sphères au sein de l’Etat : une sphère civile bouillonnante comme un Vésuve, où chaque jour avait son vacarme, et une sphère militaire où, paradoxalement, le calme était de mise. Pendant dix ans, je n’ai pas signé un seul billet d’écrou. Ma philosophie étant tout autre.

Pour moi, un homme en tenue et animé de bon sens, se rectifiera mieux quand on lui excuse une première faute. Au lieu de faire tomber les punitions en fracas, je les suspendais en épée de Damoclès à perpétuelle demeure.

Ayant appris la Sîra, je connais l’allégorie du ‘’cheveu de Maaouya’’ (cha’rat Maaouya). Ce calife omeyade trouvait que le pouvoir est un cheveu dont une extrémité est tenue par le Chef et l’autre par les sujets. Si les sujets le tirent à le distendre, le Chef le lâche ; s’ils le relâchent, le Chef le tire vers lui.

C’est une façon de dompter les hommes. L’art de dompter je l’appris par mes aïeux. Des que je devins à même de comprendre, on m’apprit que mon trisaïeul avait pour monture favorite un lion, que son cheikh, Cheikh Mohamed Laghdaf Daoudi, pouvait l’en pourvoir si besoin se faisait pressant.

Cher ami, mon amitié sincère, je te l’ai prouvée dans toutes les circonstances. Lorsque tu fus blessé et que tu sombras dans un coma aussi long que profond, je suis resté des mois sur le qui-vive, pour que tu reviennes en selle. Tu revins visiblement appauvri, mais revenu quand même. Lorsque tu pensais à un remplaçant à la Medvedev, tu essayas tant d’autres ‘’hommes liges. ‘’

Monsieur le président,

Maintenant, la mort au cœur, je vois ton destin tourner en eau de boudin. Je n’y mettrai rien de moi-même. Mais les faits et les circonstances sont têtus. Par la force des choses, tu es entre les fourches caudines de la justice.

Et comme je l’ai promis, je n’essayerai pas d’interférer dans son cour. D’ailleurs une fois l’affaire devant « le juge assis », il peut braver ma révérence et faire ce que son intime conviction lui dicterait.

Car, tu sais, il arrive à l’Etat de créer des personnages qui lui échappent, comme Frankenstein à son inventeur. Comme dans tout Etat de droit qui se respecte, tu as le droit de te défendre.

Apparemment, un collectif d’avocats « compétents » est autour de toi. Maîtres Rajjou et Brigant sont venus s’ajouter à Ichiddou et Taghyoullah, déjà cloués au pilori, voire voués au supplice du pal, par tes nombreux détracteurs.

Apparemment toujours mal conseillé : tu as pioché dans « l’arrivage » des avocats. Illustres inconnus ; Maitre Rajjou n’a rien rajouté, et Maitre Brigand n’a rien eu à « brigander ».Vêtus de fripes endimanchées, tes hôtes de vingt quatre n’avaient aucun sens de la communication. Leurs vieux costumes disaient long sur leurs coutumes. On leur lança ‘’ Circulez, il n’y a rien à voir’’.

Ces « abricots » seraient venus pisser dans un violon, comme on dit. Quel que soit l’avocat que tu prenais, je crains que les présomptions qui pèsent sur toi ne soient irréfragables, et que le juge ne soit résolument intraitable. Tu sais, mon ami, on ne décide pas de son destin. Dieu seul savait ce qui devait jalonner le chemin escarpé allant de Darou-Mousty au palais ocre.

Moi aussi, né dans le Soufisme, je ne sais pas ce qui devrait m’arriver, mais je me garderai de contribuer à ma déchéance. Un adage juridique dit, à propos, que « nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude »Fort d’un certain savoir et d’une grande expérience de la Mauritanie, je n’emmènerai jamais mes compatriotes au bout de leurs nerfs.

Connus pour leur patience, les Oulad Deymanes, attribuaient à chaque chose une dose de patience : une semaine, pour le puisard, pourvu qu’il se ressource ; un mois, pour voir déguerpir l’hôte trop lourd, et une année pour le voisin dérangeant décamper. Apparemment, les peuples, aspirant au changement, languissent pendant dix ans.

Notamment, le Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi, tout en égrenant tous les soirs, douze fois, la litanie des Tijanis, Jawharatu alkemali contenue dans la wadhifa, savait que dix ans feront tourner la roue de l’histoire.

Cher ami, vas- y ! Je te sais coriace ; défends toi bec et ongles !« Celui qi prend une bouchée de farine, sait d’emblée avec quoi il va la mouiller» D’ailleurs, à l’instant tu n’es pas coupable, suivant le principe de la présomption d’innocence. « L’accusé est innocent jusqu’à sont ce qu’on ait preuve de sa culpabilité ».

Que tu sois relaxé ne me ferait pas mal outre mesure. Au bout du compte, je serai, quand même, le seul second qui n’aurait pas trahi son alter ergo. Les exemples pullulent : Nasser ne résista que deux ans avant de désarçonner le vieux Général Neguib ; Blaise ne tarda à trucider son ami et frère le capitaine Sankara ; le Colonel Traoré conspira très vite contre Lansana Konté (malheureusement il l’a eu dans l’os).

Pire dans notre golfe arabique, les parricides ourdis par les princes héritiers ne se comptent pas. En Europe, c’est tout autre chose. On se souvient de l’empereur Brutus découvrant le complot, dire à l’un des conjurés, un enfant putatif qu’il a élevé « Toi aussi, mon fils » Sois, quand même, sûr d’une chose : vaille que vaille, je ne mettrai rien de moi-même pour humilier ta femme, ni raccrocher au nez de tes enfants qui m’ont toujours appelé « papa ». Je respecte ainsi les us et les coutumes toutes les ethnies musulmanes de la Mauritanie, pays de l’honneur et de la dignité. Sois assuré de ce côté.

Monsieur le président,

Cher ami, tout prête à croire que tu seras condamné à une lourde peine. Malheureusement, aussi bien que je ne puisse influencer le juge, une forte opinion populaire peut l’obliger de te punir lourdement.

Quant à moi, ne voulant voir un ami de quarante ans se morfondre dans une prison du pays, je pourrai te concocter un exil désargenté et « dépolitisé ». Tout en souhaitant que tous les vœux des Mauritaniens soient exaucés, je te souhaite un procès sans fossés.

Fraternellement vôtre. Un ami de quarante ans

Par Brahim Bakar Sneiba

 

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Titre source : 

Chronique d’une rupture consommée : Lettre à un ami de quarante ans