En réponse à l’initiative de l’Agence Mauritanienne d’Information de célébrer le Congrès fondateur d’Aleg, en commémorant le 60e anniversaire de la fête de l’indépendance nationale du glorieux 28 novembre et en valorisant tous les efforts visant à consolider l’unité nationale sacrée, je ne peux m’empêcher de faire ce témoignage sur l’atmosphère exceptionnelle qui avait prévalu à cet évènement historique par excellence, avec la réunion organisée, pour la première fois dans l’histoire contemporaine du pays, de représentants de toutes les composantes de ce peuple fier et riche par sa diversité ethnique et culturelle.
Ce Congrès était - vérité soit dite- le point de départ de l’unité mauritanienne et le premier épisode de sa réunification. Je dois rendre hommage ici au grand enthousiasme, à la clairvoyance et à la sagesse de feu Moktar Ould Daddah, pour avoir appelé avec insistance à la tenue de cet évènement et son déroulement dans cette atmosphère traditionnelle, à la fois authentique et confortable.
En reconnaissance à son apport, il y a lieu de souligner ici qu’il a adopté cette voie consensuelle chaque fois que le besoin se faisait sentir pour surmonter certaines crises circonstancielles et pour assouplir la gravité des tiraillements, appelant au dialogue et à s’attacher à l’atmosphère de réconciliation, de cohésion et de solidarité à tous les niveaux, comme il l’a fait lors de la table ronde du 25 décembre 1961 à Nouakchott. L’arène politique mauritanienne s’est limitée, au cours de la première occasion (le Congrès d’Aleg) aux deux partis Al Wiam de l’opposition et l’Union Progressiste au pouvoir, en plus de l’Association de la Jeunesse Mauritanienne, qui avait décidé de boycotter le Congrès d’Aleg malgré le fait que certains de ses membres, dont j’ai l’honneur de faire partie, ont contribué à l’encadrement de ses délégations, comme ils ont contribué, derrière les coulisses, à la cristallisation des orientations nationales autour des principaux points de l’agenda des activités.
Et contrairement à ce qui était attendu, les deux partis sont parvenus à un accord complet et ont fusionné en une seule formation, à savoir le Parti du Rassemblement Mauritanien (RPM). Les partis étaient par contre au nombre de 4 à l’occasion de la table ronde, à savoir : * Le Parti du Rassemblement Mauritanien, * Le parti Nahda, * L’Union Nationale Mauritanienne, * Et l’Union Socialiste des Musulmans de Mauritanie. Il a été convenu de fusionner ces quatre partis pour former le Parti du Peuple Mauritanien (PPM).
Pour revenir au Congrès d’Aleg, je trouve que le Parti Al Wiam et ses leaders présents n’ont pas eu droit à la reconnaissance qu’ils méritent pour leur dévouement à l’avènement de ce départ historique en ignorant les positions de leur historique direction, qui s’est réfugiée au Maroc et qui appelait à l’adhésion au Royaume marocain. En tout cas, ils méritent, à mon point de vue, nos éloges et notre admiration comme les avait mérités le président Moktar Ould Daddah et ses compagnons, et je cite particulièrement, parmi les leaders d’Al Wiam présents, le dirigeant Mohamed Vall Ould Benani, qui était à leur tête.
Il convient de souligner ici que l’une des missions dont j’ai été chargée par l’Association de la Jeunesse Mauritanienne était d’orienter, autant que possible, les représentants du Brakna, et plus précisément d’œuvrer afin que la réponse relative à l’Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS) soit «Non!» J’ai tenté donc d’assister à la session des délibérations organisées nuitamment et à ciel ouvert par la délégation du Brakna, mais je n’ai pas pu rejoindre les Chefs traditionnels qui étaient assis sur des chaises au milieu du grand rassemblement.
Trois d’entre eux, les plus jeunes, étaient assis sur le tapis et écrivaient la réponse, lisaient la question à l’adresse de tout le monde et dialoguent avec leurs ainés, jusqu’à l’émergence d’une réponse commune, que le plus âgé, Cheikh Ahmed Ebi El Maali, dictait aux trois jeunes qui l’écrivaient. J’ai attendu hors du groupe jusqu’à moment où j’ai entendu la réponse à la question relative à l’Organisation Commune des Régions Sahariennes, qui se présente comme suit: «la réponse du Brakna à cette question est celle faite par le Trarza!» J’ai crié disant qu’il ne fallait pas donner cette réponse ! Un Monsieur âgé s’est levé de toute la foule et appelé le nom «Lebbat» à plusieurs reprises, jusqu’à ce que ce dernier se manifeste, et lui a dit: «ce jeune, l’un de nous à Aleg, crie jugeant cette réponse inappropriée.» Lebbat répondit: «Frayez-lui un passage pour se joindre à nous!» Lebbat Ould H’Meyada s’éleva de sa chaise pour m’accueillir, disant: - Qui êtes-vous? - Je suis l’un de vos jeunes. Je m’appelle Yahya Ould Abdi. Il commençât à plaisanter avec moi, - C’est vous Ehel Lerayvatt (coiffure traditionnelle masculine) ? - Oui. - Savez-vous que vous devez nous obéir ? - Oui, mais vous devez demander notre avis sur certaines questions urgentes, afin de vous les expliquer, - Oui. Quel est ce problème? - La France cherche à travers cette question à créer une grande colonie composée de la Mauritanie, du Mali, du Niger, du Tchad, etc ... et faire partie intégrante de la France comme l’est l’Algérie, de sorte que l’indépendance devienne impossible ; et nous, au sein de l’Association de la Jeunesse Mauritanienne, nous avons mis au devant de nos ambitions pour la Mauritanie qu’elle acquière son indépendance.
Il appela le nom de Cheikh Ebi Maali, le priant de me recevoir, ce qui fut fait. Ce dernier me salua avant que je ne lui présente les mêmes explications. Il lança alors sans hésiter à ses collègues:» Notre réponse est «Non» sur ce point! J’ai remercié Dieu et je me suis retiré ». J’ai été énormément impressionné par cette interaction généreuse des Chefs traditionnels du Brakna, en particulier de la grande tempérance de leurs porte-paroles Lebatt Ould H’Meyada et Cheikh Ahmed Ebi Maali Ould Cheikh Ahmed Hadrami.
Leur attitude que nous venons d’évoquer prouve, au même titre que leurs encouragements faits à la résistance de la jeunesse mauritanienne et leur aspiration à l’émancipation du joug du colonialisme, leur attachement profond à ce pays.
Je mets en exergue aussi la position de leurs collègues présents qui n’ont exprimé aucune objection à la réponse définitive «Non» à cette question. Je me sens obligé de mentionner - un témoignage pour l’histoire, - les noms de certains de ces symboles qui ont fait preuve d’une sincérité sans égal, à savoir Ms: Mohamed Ould Ahmed Abd, Kane Mame N’Diack, Sidi Mohamed Ould Ahmedou, Sidi Mohamed Ould Oudaa, Mohamed Ould Hamadi, H’Meimed Ould Boubacar, Vall Ould Abdi, Jibril Bah, Moustapha Ould Cheikh Abdallahi, Abdallahi Ould Kebd, Mohamed Ould Mohamed Abdallahi, Sid’Amine Ould Haibelty, Abdallahi Ould Abdel Kader, Cheikh Ould Lemrabott et bien d’autres, la mémoire pouvant me faire défaut, pour me rappeler d’autres qui étaient forcément présents.
Et je ne cache pas que j’ai été très surpris par cette noble position patriotique des Chefs traditionnels, d’apparence caractérisée par une relation de suivisme avec les colonialistes français. Il m’est apparu clairement, après un examen attentif, que ces Chefs avaient exprimé, avec mérite, un esprit patriotique présent chez la plupart de leurs semblables sur toute l’étendue du territoire national. C’est d’autant plus vrai que la preuve irréfutable de ce sursaut patriotique trouve toute son illustration dans cette affluence remarquable des mauritaniens aux urnes du référendum (de De Gaulle) pour voter «Non»!
Même avant cela, nos campagnes de mobilisation anticolonialistes suscitaient une interaction et un soutien inédits de la part des personnalités traditionnelles et de façon générale de tout le peuple mauritanien. J’ai senti ce sens patriotique dans toutes les wilayas où j’ai eu l’honneur de servir, tels que l’Adrar, le Tagant, le Brakna, le Trarza, l’Inchiri et la région de Nouakchott ainsi que les autres wilayas où j’ai été dépêché à plusieurs reprises pour des missions politiques! C’est ce que j’ai gardé en mémoire du Congrès d’Aleg (étape principale de la marche nationale).
C’était une époque de l’histoire de la nation dirigée par une génération de citoyens fidèles, qui avaient consentis d’énormes sacrifices pour le bien-être de cette nation. Je pense que la nation a cruellement besoin aujourd’hui de ceux qui lui recherchent un consensus quasi-national sur les bases de la construction nationale et de la coexistence commune. Je souhaite du fond du cœur et avec sincérité que les dirigeants du pays, les élites politiques et tous les citoyens intéressés par les questions publiques aillent à des Congrès inclusifs dans lesquelles les Mauritaniens – sans exception aucune – débattent le sort de leur pays, échangent les propositions et fassent les concessions dans l’intérêt général de la Patrie. Que Dieu entoure notre pays de sa protection et de sa bénédiction, du bien-être et de la stabilité au sein de l’Islam et préserve sur la voie du Prophète PSL ses compagnons et ceux qui les ont suivis jusqu’au jour du Jugement.
Par Yahya Ould Abdi
NB : Titre source : Témoignage: Depuis les débuts de la naissance de l’Etat: Le Congrès d’Aleg, mai 1958
Traduit de l’arabe par Mohamed Ould Mohamed Lemine
MAGAZINE HORIZONS N° 005/ Spécial 28 Novembre 2020 (Page 13)