Comme un air de déjà-vu au Mali. Alors que le pays s'est réveillé ce mardi avec la désolation après l'arrestation la veille par les militaires du président et du Premier ministre de transition, l'homme fort de la junte et de fait du pouvoir malien depuis neuf mois, le colonel Assimi Goïta, a indiqué avoir déchargé de leurs prérogatives le président et le Premier ministre, en les accusant de tentative de « sabotage » de la transition.
Assimi Goïta a aussi indiqué, dans une déclaration lue à la télévision publique par un collaborateur en uniforme, que « le processus de transition suivra son cours normal et que les élections prévues se tiendront courant 2022 ». Au-delà de cette déclaration, c'est la confusion qui règne. Les militaires ont-il jugés que la transition constitue un enjeu trop crucial pour l'être à des civils ? Au point de susciter l'inquiétude des partenaires du Mali et d'une frange de la société civile malienne et panafricaine.
Une transition au son du clairon ?
Le colonel Goïta, à la tête des putschistes qui avaient renversé le président élu Ibrahim Boubacar Keïta le 18 août 2020, a reproché au président Bah Ndaw et au Premier ministre Moctar Ouane d'avoir formé un nouveau gouvernement sans se concerter au préalable avec lui, bien qu'il soit en charge de la défense et de la sécurité, domaines cruciaux dans le pays en pleine tourmente. « Une telle démarche témoigne d'une volonté manifeste du président de la transition et du Premier ministre d'aller vers une violation de la charte de transition [?], d'où une intention avérée de sabotage de la transition », a-t-il dit.
La charte, grandement rédigée par les colonels, est un texte référence de la transition censée ramener des civils au pouvoir. Le colonel Goïta dit s'être vu « dans l'obligation d'agir » et de « placer hors de leurs prérogatives le président et le Premier ministre ainsi que toutes les personnes impliquées dans la situation ».
Le président Bah Ndaw et le Premier ministre Moctar Ouane ont passé la nuit aux mains des militaires qui, lundi, les ont fait conduire de force au camp de Kati, haut lieu de l'appareil de Défense à quelques kilomètres de Bamako, a-t-on appris de source proche des militaires. Les militaires ont jusqu'à présent gardé le silence sur leurs intentions. Les spéculations sur une démission forcée des dirigeants de transition, comme cela était advenu en 2012 ou 2020 ne faisaient en revanche plus de doute.
Intenses activités diplomatiques
Dans tous les cas, le Mali, plongé dans une crise inextricable et multiforme depuis des années, vit une journée d'incertitudes, de rumeurs et d'activités diplomatiques et politiques, avec l'arrivée prévue du médiateur des États ouest-africains Goodluck Jonathan.
La composition du gouvernement communiquée lundi a semble-t-il mécontenté les colonels. Certes elle conserve à des militaires les postes clés, mais elle écarte deux figures de l'ancienne junte des portefeuilles primordiaux de la Défense et de la Sécurité. La mission des Nations unies au Mali, la Communauté des États ouest-africains (Cedeao), l'Union africaine, la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Union européenne ont condamné « fermement la tentative de coup de force ». Dans un communiqué commun, ils exigent « la libération immédiate et inconditionnelle » des dirigeants de transition, auxquels ils apportent « leur ferme soutien ». Ils rejettent par avance tout fait accompli, y compris une éventuelle démission forcée des dirigeants arrêtés.
Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a appelé lundi dans un tweet « au calme » au Mali et à la « libération inconditionnelle » de MM. Ndaw et Ouane. Selon des diplomates, le Conseil de sécurité de l'ONU pourrait tenir une réunion d'urgence dans les prochains jours. Une délégation du Mouvement du 5-Juin, le collectif qui avait mené en 2020 la contestation contre le président aujourd'hui déchu Ibrahim Boubacar Keïta et qui avait été marginalisée par les colonels, s'est rendu dans la nuit à Kati.
Mi-avril, les autorités de transition ont annoncé l'organisation le 31 octobre d'un référendum sur une révision constitutionnelle promise de longue date et ont fixé à février-mars 2022 les élections présidentielle et législatives à l'issue desquelles elles remettraient le pouvoir à des dirigeants civils.