Les conséquences du coup d’État en cours au Burkina Faso pour l’intervention française seront multiples. Non seulement cette instabilité menace sérieusement l’avenir de l’opération Barkhane dans le Sahel, mais en plus elle risque de porter un coup fatal à l’engagement militaire des Européens dans la sous-région.
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Quelles sont les conséquences directes pour l’intervention française ?
Sur le plan opérationnel, la présence militaire française au Burkina Faso est réduite aux forces spéciales, la « Task Force Sabre ». Par nature discrète, cette force d’environ 350 militaires est utilisée pour traquer et frapper les djihadistes, comme lors de la libération de deux otages français par le commando Hubert, dans le sud du Burkina, le 19 mai 2019. Elle peut aussi être engagée dans des opérations de politique intérieure, comme lorsque, le 31 octobre 2014, elle avait exfiltré le président déchu Blaise Compaoré pour le mettre en sécurité en Côte d’Ivoire.
Dans le contexte actuel, cette force ne sera pas engagée pour protéger le président Kaboré : dans une position déjà très délicate, Paris n’a pas intérêt et sans doute plus les moyens de jouer aux gendarmes de l’Afrique, comme le souligne le colonel Michel Goya dans son dernier livre, Le Temps des guépards (1).
En revanche, elle peut être déployée en cas de menace sur les Européens : un scénario, pour l’heure, peu probable. « La crise au Burkina peut surtout poser un problème logistique pour l’armée française, analyse le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès des Nations Unies. Les convois de ravitaillement de la base de Gao, dans le nord du Mali, et de Menaka, dans le nord du Niger, passent par le Burkina. » De sorte que la France est obligée de ne pas s’aliéner les autorités qui dirigent le pays.
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Comment envisager l’avenir de l’opération Barkhane ?
Jusqu’au scrutin pour l’Élysée, Paris est piégé. « Comment prendre des décisions importantes à moins de cent jours de l’élection présidentielle ? On peut s’attendre à une grande discrétion des autorités françaises tant que l’élection n’a pas eu lieu. Paris va devoir temporiser avec un mot d’ordre : surtout pas de morts de notre côté ! », estime le général Trinquand. « Les militaires vont rester dans leur base, comme en Afghanistan », ajoute-t-il.
« Cette opération était condamnée depuis longtemps », juge Marc-Antoine Pérouse de Montclos, auteur du livre paru en 2020 Une guerre perdue, la France au Sahel (2). Avec ce nouveau coup d’État, comment Paris peut-il vraiment envisager de rester dans le Sahel ? Combien de soldats vont mourir alors que la situation se dégrade de partout ? » Une fois les élections présidentielle et législatives passées, tout concorde pour penser à un retrait encore plus rapide de Barkhane. « Au Mali, nous l’envisageons pour la fin de l’année », confiait récemment à La Croix une source militaire française.
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Quelles suites pour l’intervention européenne ?
Le coup d’État au Burkina Faso fragilise un peu plus la force européenne Takuba, dont la vocation est théoriquement de prendre le relais de l’opération Barkhane. Composée aujourd’hui d’environ 800 soldats, dont la moitié est française, cette force de 14 pays européens n’a jamais paru aussi fragile. La détérioration constitutionnelle au Mali et l’arrivée des Russes dans ce pays ont déjà poussé les Suédois à annoncer, le 14 janvier, la fin de leur participation cette année : soit le retrait de 150 forces spéciales.
« Les Européens n’ont jamais cru en cette force, souligne Marc-Antoine Pérouse de Montclos. Pour eux, c’est une occasion de participer à peu de frais à une opération internationale, mais à condition qu’ils ne perdent aucun soldat. Comme me l’ont dit les Tchèques, ils se retireront au premier mort. »
Et de noter que le Burkina Faso et le Niger s’opposent au déploiement de la force Takuba sur leur sol. « Les Européens n’ont jamais été très chauds pour intervenir au côté de la France dans le Sahel. Si, en plus, ils doivent le faire dans des pays dirigés par des juntes, ils auront une bonne raison d’y renoncer, craint aussi le général Trinquand. D’autant que la crise ukrainienne leur apparaît comme une menace bien plus directe et sérieuse que ce qui se joue dans le Sahel. »
La Croix