Monsieur le Ministre,
Je rumine, depuis un certain temps, cette volonté de vous interpeller, comme l’aurait fait un député de notre auguste Assemblée nationale, sur un sujet découvert à travers ce qui ressemble bien à une étude de cas : le problème que vivent les sociétés Masof et Armaship, depuis plusieurs années, mais au-delà, de ce qui me semble aujourd’hui être un casse-tête pour le propriétaire de ces sociétés, la situation générale d’un secteur des pêches qui se meurt. Dans l'indifférence la plus totale !
Je disais donc, Monsieur le Ministre, que cette lettre ouverte, comme d’ailleurs celles que j’envisage d’adresser à certains de vos pairs, sur d’autres questions tout aussi délicates que la situation devenue invivable du secteur de la pêche, pouvait encore attendre mais le discours du président de la République, prononcé, le 24/03/2022, à l’occasion de la sortie d’une nouvelle promotion de l’Ecole nationale d’administration, de journalisme et de magistrature (ENAJM) suscite un nouvel espoir : le temps est peut-être venu de réparer les injustices, toutes les injustices, subies durant la décennie 2009-2019.
Monsieur le Ministre,
Le président de la République n’a-t-il pas dit que l’essence d’une administration, sa raison d’être, est de se mettre au service du citoyen, d’être à l’écoute de ses doléances et de voir en quoi il a été lésé, quand il lui soumet un quelconque problème ?
Je voudrais, Monsieur le ministre, que dans cette recommandation présidentielle rappelant à tous que l’exigence d’équité formulée à Ouadane n’est pas une promesse vaine, le cas des sociétés Masof et Armaship soit examiné, à la lumière de toutes les réclamations avancées par le sieur Brahim Elhaj Moctar dans des correspondances et des documents montrant l’ampleur du préjudice subi.
Nul besoin ici, Monsieur le ministre, de dire qu’en évoquant ce dossier, hic et nunc, je ne fais preuve d’aucun opportunisme mais saisi au vol une heureuse opportunité, celle de « battre le fer pendant qu’il est encore chaud », comme on dit, pour savoir si les orientations de Son Excellence le président de la République, Monsieur Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, sont bien celles de ceux censés être leur exécutants : les ministres de la République, les walis, les hakem, les responsables des entreprises publiques...
Monsieur le Ministre,
Voyons de quoi il s’agit, en rappelant le contexte.
Le « dossier de la décennie », appellation que les Mauritaniens ont donné à la gestion économique, aujourd’hui soumise à l’appréciation de la justice, de l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz, entre août 2009 et août 2019, est une affaire sérieuse, pour ne pas dire une affaire d’Etat. L’enquête enclenchée par une commission parlementaire (CEP), instaurée le 31 janvier 2020, a cherché, sur plusieurs mois, à découvrir, preuves à l’appui, l’ampleur du saccage sans précédent des biens publics, essentiellement à Nouakchott, à Nouadhibou et dans la wilaya agricole du Trarza. Certes, les Mauritaniens s’impatientent en ne voyant pas, à ce jour, jusqu’où pourrait aller cette affaire qui commence à « manger » tout le mandat du président Ghazouani, mais ce que beaucoup ne savent pas – ou feignent d’ignorer – est que le Mal a aussi touché mortellement le secteur privé : Des sociétés mises à mort, pour que d’autres naissent sur leurs décombres, des hommes d’affaires pris pour cibles dans ce qui s’apparente clairement à une opération malicieuse de « pousse-toi que je me place » et des règlements de compte… !
Créer le vide pour l’occuper, éliminer la concurrence, c’est ce que des sociétés détenues par des personnes engagées – ou embarquées – par le pouvoir autocratique d’Aziz ont eu comme levier pour assurer leur mainmise sur des pans entiers de l’économie nationale, dans tous les domaines d’activités : pêche, mines, commerce, banques, BTP, agriculture, immobilier, transports, etc. Des préjudices qui, comme ceux du domaine public, nécessitent réparations. Par une réattribution, d’abord, des rôles et activités spoliées, ensuite, par des compensations à la mesure des pertes et préjudices subis tout le long de la décennie.
Monsieur le Ministre,
La présente Lettre ouverte, s’appuyant sur de précieux documents, cherche à porter à l’attention de l’opinion publique nationale et internationale les dérives qui ont conduit à des paralysies économico-financières, voire des faillites. L’Etat protecteur des droits, de tous les droits, doit rouvrir ces dossiers, notamment au niveau de Nouadhibou, pour aider ces sociétés à se remettre, rapidement, et reprendre leur contribution au développement du pays.
Ce premier focus - qui sera suivi par d’autres, incha’Allah - porte sur le secteur de la pêche avec, pour exemple, l’acharnement tout le long de 2009-2019, sur les sociétés MASOF et ARMACHIP de l’homme d’affaires Brahim Elhaj Moctar, et la situation dans laquelle elles se trouvent aujourd’hui, toujours dans l’attente d’une « réparation », morale et matérielle, en vertu de cette équité qui fonde tout le programme « Taahoudati » du président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani.
Masof (1995) et Armachip (2008), étaient deux sociétés bien cotées à Nouadhibou, jouissant d’une bonne renommée, dans le milieu des affaires (pêche) auprès de leurs partenaires mauritaniens et étrangers, jusqu’au jour où la société chinoise Polyhondong Pelagic Fisherie Co arrive en Mauritanie. Les craintes de la Fédération Nationale des Pêches (FNP), formulées dans un communiqué en date du 09/06/2011, allaient se confirmer rapidement, quand cette convention avec Polyhondong lui attribuant des dizaines de licences de pêche de fond (chalutiers, caseyeurs, palangriers, fileyeurs et diverses pêcheries expérimentales) aggrave la situation économique déjà précaire des opérateurs industriels et artisanaux du secteur des pêches.
L’arrivée de Polyhondong en Mauritanie provoque également les protestations des partenaires les plus en vue du pays, l’Union européenne et la Banque mondiale, auprès de l’ambassade de Chine à Nouakchott, pour non respect du gel de l’effort de pêche tel que déterminé par la circulaire n°456 du 14/12/1997. La réponse de l’ambassadeur de Chine à Nouakchott : « nous avons beaucoup de bateaux vieillissants et nous saurons bien comment s’y prendre », confirme bien que le ciblage des sociétés Masof et Armaship était planifié au plus haut niveau entre le président Aziz et le ministre des pêches de l’époque.
Monsieur le Ministre,
Masof (1995) et Armachip (2008), étaient deux sociétés bien cotées à Nouadhibou, jouissant d’une bonne renommée, dans le milieu des affaires (pêche) auprès de leurs partenaires mauritaniens et étrangers, jusqu’au jour où la société chinoise Polyhondong Pelagic Fisherie Co arrive en Mauritanie. Les craintes de la Fédération Nationale des Pêches (FNP), formulées dans un communiqué en date du 09/06/2011, allaient se confirmer rapidement, quand cette convention avec Polyhondong lui attribuant des dizaines de licences de pêche de fond (chalutiers, caseyeurs, palangriers, fileyeurs et diverses pêcheries expérimentales) aggrave la situation économique déjà précaire des opérateurs industriels et artisanaux du secteur des pêches.
L’arrivée de Polyhondong en Mauritanie provoque également les protestations des partenaires les plus en vue du pays, l’Union européenne et la Banque mondiale, auprès de l’ambassade de Chine à Nouakchott, pour non respect du gel de l’effort de pêche tel que déterminé par la circulaire n°456 du 14/12/1997. La réponse de l’ambassadeur de Chine à Nouakchott : « nous avons beaucoup de bateaux vieillissants et nous saurons bien comment s’y prendre », confirme bien que le ciblage des sociétés Masof et Armaship était planifié au plus haut niveau entre le président Aziz et le ministre des pêches de l’époque.
Monsieur le Ministre,
Masof et Armachip de Ould Elhaj Moctar sont probablement les premières victimes directes de cette convention établie, à dessein, pour servir des intérêts particuliers en Mauritanie se fondant prétendument sur le développement de la coopération avec la Chine. Car, une semaine seulement après la publication du communiqué de la FNP, les Chinois qui travaillent pour le compte de ces deux sociétés commencent à « décrocher » dans ce qui ressemblait fort bien à une opération de sabotage savamment orchestrée. Ce qui n’était qu’appréhensions chez les responsables de Masof allait se transformer en certitudes quand la conseillère économique de l’ambassade de Chine à Nouakchott, contactée à ce sujet, leur dit, sans détours, que les autorités mauritaniennes leur demandent de mettre fin au partenariat avec ces deux sociétés !
Sur le même sujet, l’ambassadeur de Chine à Nouakchott, a dit la même chose au président de l’Association de l’Amitié sino-mauritanienne ! Le début donc d’une mise à mort économique décidée par Aziz, l’ambassade de Chine à Nouakchott et le ministère des Pêches et dont « l’exécution » commence, en novembre 2011, quand, sans fondements juridiques, le ministre des pêches et de l’économie maritime, interdit aux sociétés Masof et Armachip d’exporter leurs produits vers les marchés européens qui constituaient pourtant 60% de leur production. Le prétexte avancé : non-conformité de la flotte aux normes sanitaires !
L’acharnement se poursuit quand, le 23 avril 2013, le ministre des pêches et de l’économie maritime, décide, par la circulaire n°0010/2013, de mettre fin à l’activité de tous les bateaux de Brahim Elhaj Moctar - dont il devient clair qu’il est victime d’une véritable cabale - sous prétexte qu’un plan de renouvellement de la flotte de pêche industrielle nationale allait être engagé, conformément à l’approbation du gouvernement en date du 09 juillet 2012 !
Alors que Masof et Armaship avaient pris toutes les dispositions nécessaires, pour répondre à cette « exigence », bien que contraignante, en transformant les navires en ferrailles (mesures de haut respect de la RSE) et en réglant, jusqu’au dernier sou, les droits des 220 marins, le MPEM, quant à lui, n’a tenu aucun de ses engagements envers les deux sociétés ! L’affaire portée par Masof et Armachip devant le Conseil de la Fatwa et des Recours Gracieux qui a adressé la lettre n°049 en date du 14/09/2014 au ministère des Pêches allait être superbement ignorée par ce dernier. Comme quoi, en ce moment-là, la loi ne fonctionne que d’un seul côté, quand elle est à l’avantage du plus fort, le camp du président de l’époque.
Une lueur d’espoir allait pointer à l’horizon quand, le 13 septembre 2015, le gouvernement de la République populaire de Chine, prend l’engagement, lors de la tenue de la Commission mixte mauritano-chinoise dans le domaine de la pêche, de trouver solution au litige opposant la société Masof à Shandong, son partenaire chinois. Le procès-verbal de cette réunion le mentionnait clairement mais, à la rencontre à Nouakchott, dans le cadre de cette commission, le 26 mai 2016, les choses allaient prendre une tournure autre, quand le ministre chinois refuse d’évoquer le litige opposant la GBM à la société chinoise Dalian, au motif que cette dernière est une entreprise privée, laissant la porte ouverte à l’examen de celui qui oppose Masof à Shandong qui, elle, est une entité publique chinoise. Le ministre mauritanien des pêches de l’époque avait apparemment « péché », en modifiant les termes du projet de communiqué pour que la GBM opposée à la société chinoise privée Dalian apparaisse comme le « nœud gordien » de tout règlement d’une crise qui, en réalité, dans son cadre public (Masof vs Shandong) était en voie de règlement, la partie chinoise ayant fait preuve de bonnes dispositions.
Ainsi, le projet de communiqué qui allait être signé, à la fin des travaux de cette commission, et comportant une recommandation ayant trait à la nécessité de mettre fin au litige entre Masof et Shandong, sera « réaménagé », sur ordre du ministre mauritanien des pêches, pour réintroduire le litige Dalian-GBM et empêcher ainsi le règlement, déjà envisagé par la partie chinoise, de celui concernant Masof !
Monsieur le Ministre,
Le dernier acte de cette mise à mort économique d’un fleuron de la pêche industrielle nationale programmée, dès l’arrivée de Polyhondong, sera l’attribution injuste de quotas empêchant ces sociétés non pas de fonctionner à plein temps, comme c’est le désir légitime de toute entreprise, mais d’avoir le minimum vital pour survivre. Une commission, créée par lettre du MPEM non datée, est chargée, en 2015, d’être l’instrument d’exécution de cette décision inique. Elle instaure des quotas sur la base de la production « supposée » des navires de pêche. Masof et Armachip qui ont cessé leurs activités le 30/04/2013 (date de fin de la dernière licence de pêche émise au nom de cette flotte) se sont vu attribuer des quotas de 37 tonnes par navire par cette commission si singulière, se basant sur des fiches montrant qu’elles étaient en activité tout le long de 2013-2014 !
En 2016, le ministère des pêches décide de « doter » les navires d’un quota minimum de 100 tonnes excluant, sans raison, de ces largesses apparemment bien orientées Masof et Armachip qui ont bénéficié de 549 tonnes pour 15 navires, soit 37 tonnes pour chaque unité de production ! D’autres flottes qui se trouvent dans les bonnes grâces du pouvoir d’alors ont eu parfois jusqu’à 147 tonnes par navire !
A maintes reprises, la FNP avait demandé vainement au MPEM de revoir le quota attribué aux sociétés Masof/Amaship ; une démarche qui met à nue les allégations du Ministère des pêches prétendant que les quotas ont été établis « en concertation avec la fédération nationale de pêche » !
On cherchait, clairement, à étouffer ces sociétés puisque les agissements dont elles ont été victimes ont fini par provoquer leur faillite avec, pour conséquence fâcheuse, une lourde dette due à une banque primaire de la place.
Monsieur le Ministre,
Il est clair que Masof et Armachip ne sont pas les victimes collatérales de la gestion calamiteuse de la décennie 2009-2019, dans le secteur de la pêche, mais d’une machination orchestrée en très haut lieu par Aziz, l’ambassade de Chine à Nouakchott et le Ministère des Pêches. Il y a pourtant espoir que la situation change et que ces sociétés recouvrent leurs droits grâce, notamment, à l’engagement du président de la République, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, à faire prévaloir, désormais, l’équité et la justice. Les actes posés au cours de ces deux dernières années sont encourageants mais dans le cas de Masof et d’Armachip, l’injustice qui dure depuis une décennie ne souffre d’être prolongée dans le temps, sans relever de l’insouciance. Surtout que Brahim Elhaj Moctar qui a fait preuve de résilience durant toute cette période en continuant de se battre, ne rend pas le pouvoir actuel responsable des malheurs de ses sociétés, et ne demande que réparation de l’énorme préjudice subi par une solution acceptable de la question de la dette, mais surtout, en donnant une suite favorable à l’orientation de sa flotte vers un type de pêche autre que celui de la pêche de fond dont les bases sont loin d’être comprises – et respectées dans la ZEE mauritanienne.
Le bien-fondé des réclamations d’Ould Elhaj Moctar ayant été reconnu par au moins deux des ministres qui se sont succédé au Ministère des Pêches, il reste à souhaiter que les récentes instructions du président de la République données pour que les plaintes – et complaintes – des citoyens soient entendues par les responsables ne se transforment, par les fourberies de certains de ces derniers en lettre morte ; exactement comme ce fut le cas avec la circulaire 0001 du 27 janvier 2020/Primature qui préconisait les mêmes prédispositions mais n’a jamais connu un début d’exécution donnant l’impression à tout plaignant, comme les sociétés Masof et Armaship, de tourner en rond. Le recours gracieux n°973, en date du 20/03/2020, introduit par les sociétés Masof et Armachip auprès du Ministère des Pêches, pour corriger ces incohérences préjudiciables, n’avait rien changé à cette situation kafkaïenne.
Monsieur le Ministre,
Ni vous ni le gouvernement actuel n’êtes responsables de la situation de sociétés dont la « mise à mort » avait commencé dès les premiers mois de la funeste décennie 2009-2019. Seulement, il y aura un soupçon de « non assistance à une... société en danger » si l’injustice qui les frappe, depuis, se poursuit encore en cette période où tous les voyants sont au vert, en termes d’apaisement politique, d’engagements ferme dans la lutte contre la gabegie et de volonté de faire recouvrer au pays un semblant de normalité.
Le propriétaire des sociétés Masof et Armaship ne demande aucun privilège ; il serait seulement heureux que justice lui soit rendue. Et le premier acte à poser dans ce sens serait de rouvrir le dossier de ses sociétés pour voir en quoi elles ont été lésées ? Quel est l’ampleur du préjudice subi ? Comment doit se faire la réparation ?
Au-delà de ces questions particulières qui appellent des réponses (solutions) fondant l’équité chère au président de la République, c’est la situation de tout un secteur, celui de la pêche, qui mérite d’être étudiée à la lumière de ce qui est prévu dans le programme « Taahoudati », pour l’ensemble du secteur, et non pas de l’héritage de la décennie 2009-2019.
Sneiba Mohamed, Journaliste