Il y’a parfois dans la vie et surtout dans la vie d’un homme des événements qui le marquent à vie. Après 62 ans d’indépendance de mon pays et à 70 ans, je ne pouvais pas m’imaginer un seul instant à quel point, un individu pouvait être choqué par des propos tenus à son égard par un fonctionnaire d’un établissement public.
Je savais déjà beaucoup sur la décomposition avancée de notre administration. Du jamais vu, j’en vois tous les jours dans tous les bureaux et dans tous les couloirs d’une administration mauritanienne qui a été « prostituée » par des agissements et des comportements de commis de l’Etat, recrutés soit sur recommandation, soit par complaisance, soit pour rendre service à un ami, à un parent, à une connaissance, soit aussi sur la demande d’une personnalité influente issue d’une tribu ou d’une région.
Depuis qu’en 1966, « certains » mauritaniens, par des manœuvres malhonnêtes ont imposé une « arabisation à outrance » pour freiner l’élan des compétences des francisants ou leurs percées dans les sphères de l’administration de leur pays, rien ne va vraiment plus.
Ces « certains », des bédouins importés des Mahadras qui vivaient loin des réalités des progrès du pays ont été injectés par masses entières dans toutes les administrations des rouages de l’Etat.
Plus préoccupés par les avantages qu’ils peuvent tirer de l’état que par le rôle qu’ils peuvent jouer, ces « bouchons » en liège pour lesquels le développement du pays est le dernier des soucis, ont simplement trempé le pays dans un désordre épouvantable.
Les règles du civisme même les plus élémentaires ont été piétinées et, petit à petit, l’administration mauritanienne héritée des premières années de l’indépendance a été tellement dévaluée et de manière continue et systématique qu’on se retrouve aujourd’hui face à un phénomène incroyable.
Vous entrez dans une administration n’importe laquelle, les premières choses qui vous frappent à l’œil sont les insuffisances, les incompétences, les désordres épouvantables et les laisser-aller sous toutes formes qui vous accueillent.
Le mal est tellement profond qu’on est bien en droit de se demander si, encore, il reste quelques miettes des vestiges de l’administration de l’époque de feu Moctar Ould Daddah, époque durant laquelle l’administration avait un sens de devoir, un rôle à jouer et une compétence mise au service du citoyen.
Quand un Bureau d’Ordre est lui-même le vrai désordre.
Le lundi 8 août, je suis allé en personne distribuer un courrier personnel. Je me suis rendu à la BCM pour déposer une demande d’audience auprès du Gouverneur. Le concierge (l’agent) du bureau d’ordre (BO) prend la demande, la lit de bout en bout, me regarde dans les yeux et me dit : « je ne peux pas prendre votre courrier. Nous ne déchargeons que le courrier des départements ministériels, des banques ou des organisations de la société civile. Nous ne prenons pas les lettres des journalistes ».
Et, tenant peut être compte de mon âge, il « essaie » d’être un peu agréable et courtois en me disant de : « chercher un autre moyen pour faire parvenir la lettre au gouverneur ». J’étais surpris, confus. Je dirais même que je me suis senti très humilié et, à travers moi, humiliés aussi, tous ces journalistes respectables et respectés qui sont la fondation même du champ médiatique.
L’agent du Bureau d’Ordre de la BCM en charge de la réception et l’enregistrement du courrier, avait-il pris unilatéralement la décision de refuser d’accepter ma lettre qui précisait pourtant qu’il s’agit d’un « Rendez-Vous » qui ne rentrait pas dans le cadre de mes fonctions ?
Exécutait-il des instructions qui lui sont données ? Ou était-il lui aussi, par contagion allergique aux journalistes comme beaucoup de responsables?
En tous cas, même si il n’est pas important de savoir dans lequel des cas de figures nous étions, Il est important pour moi en tout cas, de savoir pourquoi, un Bureau d’Ordre dont, en principe, la mission est de réceptionner le courrier et de le transmettre à son hiérarchie a compétence de juger de l’importance ou non d’une correspondance ?
Et, en vertu de quoi, il est habilité à procéder à un « filtrage » du courrier qui lui est soumis dans le cadre de ses attributions d’auxiliaire du secrétariat central de son Etablissement ?
Ce qui est certain c’est qu’en aucun cas, dans le cas de la Banque Centrale de Mauritanie, il ne peut s’agir, ni d’une incompétence de l’agent en charge de réceptionner le courrier à l’arrivée, ni d’un manque d’expérience de ce fonctionnaire qui semble paraitre à la hauteur de sa mission.
Les journalistes. Des indésirables ou des « indésirés » ?
Mais au-delà même de cet incident qui m’implique (moi) un des doyens journalistes les plus célèbres qui est entré pour la première fois à la Banque Centrale pour un reportage en 1975, (sans doute avant la naissance de l’agent de la BCM) et cet agent administratif peut être déjà à la retraite mais recyclé pour les besoins de la cause, ce qu’il faut retenir c’est que, malheureusement au niveau de la plupart des administrations de ce pays, les journalistes, surtout ceux de la presse indépendante sont des considérés comme indésirables et des malvenus.
C’est regrettable. C’est regrettable puisque cela n’a pas de sens, mais surtout parce que cela met en conflit le plus souvent des journalistes (des vrais) avec des responsables qui n’ont pas du tout ni le temps, ni les raisons de gérer des crises créées par des comportements irresponsables et irréfléchis de certains fonctionnaires de leur administration.
La Banque Centrale de Mauritanie au passé et au présent.
La Banque Centrale de Mauritanie a été créée le 30 mai 1973 par la loi 73-118, une loi qui avait donné à notre monnaie sa souveraineté nationale naissance par césarienne économique. A cette époque, pourtant déjà la Banque Centrale de Mauritanie s’était assise sur une organisation administrative, une structure financière et judiciaire qui lui ont permis de décoller sans risque et de jouer pleinement son rôle de moyen d’équilibre et de stabilisation des finances d’un pays en chantier.
A cette date, Moctar Ould Daddah est au pouvoir, son frère Ahmed Ould Daddah est le premier Gouverneur de cette Banque Nationalisée. La gestion est saine, transparente et conforme à toutes les normes ISO de gestion des Banques Centrales même celles des pays les plus avancés.
Tout au long de cette époque, les écritures comptables sont fidèles aux opérations financières et à la tenue des livres. Ahmed Ould Daddah, restera à la barre de l’Institution jusqu’au 30 mai 1978. Il est entré à l’institution les mains propres et il en est sorti les mains propres et le visage immaculé d’honnêteté et de saine gestion.
Pour la petite anecdote. Quand il était encore à la tête de la Banque Centrale de Mauritanie, Ahmed Daddah avait invité son frère Moctar Ould Daddah, le Président de la République pour un repas. Quand le président Moctar était entré dans le salon un climatiseur Carrier, flambant neuf brassait de l’air à 17 degrés Celsius. Le président de la République qui ne pouvait pas se permettre lui-même un climatiseur dans sa maison familiale n’avait rien dit au sujet du climatiseur que son frère avait récemment installé.
Le lendemain, très tôt, Moctar avait envoyé un Contrôle d’Etat pour vérifier si le climatiseur avait été facturé sur les comptes ou les dépenses de la BCM. Les vérificateurs sont retournés informer le Chef de l’Etat que le climatiseur n’avait pas été acheté ni sur le budget, ni sur les frais de fonctionnement de la Banque Centrale. Si c’était le cas il allait –semble t-il,- relever son frère de ses fonctions.
Ahmed Ould Daddah avait passé le témoin à Feu Sid’Ahmed Ould Bneijara, qui lui l’avait tendu à Feu Dieng Boubou Farba le 20 juillet 1978. Mr Dieng était revenu à la tête de l’Institution le 3 juillet 1983 et son nom avait fait date dans l’Histoire de cette Institution Bancaire de notre souveraineté nationale.
D’autres noms célèbres par leurs compétences et leurs saines gestions laisseront des traces indélébiles comme, Mohamed Ould Nany, excellent gestionnaire, né sous le flanc de la montagne de cuivre d’Akjoujt ; Ahmed Ould Zeine très compétent arraché à la vie très jeune par un mal inattendu ; Moustapha Ould Abeiderrahmane juste et honnête ; Ahmed Salem Ould Tabakh, un capital de compétences ; Kane Ousmane qui a quitté la BCM juste avant l’avalanche des multiples gestions opaques de cette institution qui n’avait plus fait cesser de parler d’elle à partir de 2009.
De 2009 à 2019 et encore de nos jours, la BCM déterre des horreurs qui étaient ensevelies dans une fosse commune de détournements, de trafics de tous genres, de faux et de l’usage de faux.
La Banque des faux et vrais billets de devises confondus dans la masse.
C’est le « scandale des scandales » survenu en juin 2020 qui avait levé un coin de voile sur l’inimaginable qui se passait « en sourdine » dans les couloirs et les boxes des caisses de la BCM. Un contrôle de routine inopiné avait à cette date révélé une différence énorme dans la balance des écritures comptables d‘une jolie caissière du nom de Tibiba Mint Aly N’Diaye.
900.000 euros et 400.000 dollars en grosses coupures de faux billets ont été retrouvés glissés dans les liasses de la Caisse Principale. Les caméras de surveillances étaient à cette époque tombées en panne comme par hasard et, avant même d’être interrogée, la principale inculpée avait reconnu sa seule responsabilité dans ce qui allait mettre le monde des finances nationales et internationales en alerte.
L’Affaire n’était pas la bienvenue. Elle tombait au très mauvais moment. Ghazouani était au pouvoir depuis seulement onze mois et le Gouverneur de l’époque du scandale ( en 2020) n’était pas n’importe qui. C’était Ould Dahi, un homme de confiance de Ould Abdel Aziz qui était à cette époque en pleine métamorphose pour gagner la confiance de son successeur Ould Ghazouani.
Dans la gestion de crise de cette affaire rocambolesque, le Parquet Général avait accusé deux personnes de détournement, blanchiment d’argent et de contrefaçon de monnaie étrangère.
L’Affaire était grave et personne ne voulait vraiment en parler. Ou plus exactement personne ne voulait plus en parler depuis qu’une certaine Aicha Mohamed Lemine Ahmed Salem, attachée au Cabinet Présidentiel (protocole de Tekeiber, l’Ex-première Dame) a été citée dans l’affaire. Cette femme selon les déclarations de la caissière de la Banque Centrale accusée, venait régulièrement échanger d’énormes sommes de billets de 500 euros contre des coupures de billets de 100 euros.
Les transactions selon elle se faisaient au su du Gouverneur de l’époque. Aujourd’hui, deux ans après ce scandale qui a saigné à flot les réserves de devises de la Banque Centrale de Mauritanie, Tibiba est en liberté, le Gouverneur de la période durant laquelle le scandale avait éclaté est nommé en janvier 2020 ministre de l’Economie et des Finances après 5 ans à la tête de la Banque Centrale de Mauritanie, période aussi durant laquelle des banques « frauduleuses » et des banques «cache- poussières » ont poussé comme des champignons, ont fleuri tout une saison avant de se paner ou de fondre comme du beurre au soleil.
Je suis, je reste.
Le gouverneur actuel Mohamed Lemine Ould Dhehbi, aux commandes de cette gigantesque institution financière depuis son départ du gouvernement où il faisait fonction de Ministre des Finances avait présidé le lundi 8 août 2022, un Conseil de Politique Monétaire.
Ce Conseil avait décidé de relever de 7 % le Taux Directeur de la Banque Centrale de Mauritanie, soit une augmentation de 200 points de base. Même si je ne comprends pas bien ce que cela signifie je suppose que cela doit être une bonne chose pour notre Institution Bancaire.
Mais je pense que même si c’est une bonne chose, ce Conseil Monétaire avait quelque chose de plus urgent à relever. Il devait relever plutôt de 77,7 % le niveau professionnel et moral de ses agents et de ses fonctionnaires pour les mettre à niveau d’une administration performante.
En tous cas moi, je ne vois pas où est la différence entre une Tibiba (Caissière) qui troque quel qu’en soit la raison des faux dollars et des faux euros contre des vrais billets et un agent du Bureau d’Ordre qui dans son bureau troque ses compétences contre ses sentiments personnels en refusant un courrier parce qu’il est adressé à son institution par un journaliste.
Monsieur le Gouverneur, je vous reconnais beaucoup de compétences et d’honnêteté. C’est sincère et du fond du cœur. Mais à mon avis, votre administration doit présenter des excuses à toute la presse. Les journalistes ne sont pas des pestiférés.
Parce que simplement au-delà de nos fonctions professionnelles, nous sommes avant tout des mauritaniens. Et le Président de la République Ghazouani -(vous devez certainement vous en souvenir)-, avait demandé à l’administration de se rapprocher des citoyens. Les journalistes sont aussi des citoyens figurez-vous. Merci de le rappeler à vos services administratifs qui ont provoqué toute la presse mauritanienne par le comportement négatif de votre service administratif.
Si vos responsables ont été incapables de faire fonctionner des caméras de Caisse au moment où 1.200.000 dollars et euros étaient changés contre du papier de toilette, nous, journalistes, sommes capables de braquer nos caméras sur les nombreux disfonctionnements de votre administration à variantes multiples.
Mais nous n’irons pas jusque-là. Nous préférons simplement attirer votre attention sur des petits détails qui ont leur importance. Et ce n’est pas pour ce qui n’est pas de votre faute que nous allons faire un tapage médiatique. Ce qui ne nous oblige pas non plus à nous taire.
Mohamed Chighali
Journaliste indépendant
Groupe de Presse Francophone. Fr