Les établissements de crédit en l’occurrence les banques se voient imposer le respect d’une panoplie d’obligations au manquement desquelles leur responsabilité peut être mise en jeu. Il s’agit par exemples de l’obligation d’information générale, celle du conseil et celle de vigilance. Cette dernière à savoir l’obligation de vigilance retiendra notre attention dans le cadre du présent article.
A présent en quoi consiste cette obligation de vigilance ? Comment se traduit-elle dans la pratique bancaire ?
Dans les lignes qui suivent nous aborderons succinctement l’obligation de vigilance générale puis spécifique du banquier et enfin sa mise en application effective par les banques.
I- L’obligation de vigilance générale du banquier
L’obligation de vigilance consiste à détecter par les banques, sans s’immiscer dans les affaires de leurs clients, toutes les anomalies apparentes. Celles-ci pour reprendre Thierry Bonneau sont d’ordre matériel (falsification des titres comme des endos irréguliers, des chèques) ou intellectuel (cas des mouvements anormaux laissant soupçonner des détournements de fonds sociaux de la part d’un administrateur).
Bref, les banques en leur qualité de professionnel aguerri doivent faire preuve de prudence et de discernement dans toutes les opérations qu’elles effectuent sur demande ou sous l’ordre de leur clientèle. A défaut, leur responsabilité sera engagée.
Cette obligation de vigilance requiert préalablement l’obligation des banques de s’informer sur leurs clients. D’ailleurs, cette obligation de renseignement et de vérification est prévue par l’article 1023 du code de commerce. Les banques sont tenues de se renseigner sur les personnes physiques désirant ouvrir un compte en banque en exigeant d’elles la fourniture d’informations relatives notamment à leur identité, domicile…
Des informations comme la forme et la dénomination, l’identité des personnes habilités à représenter légalement la société, l’immatriculation de la société au registre de commerce et au registre national des contribuables (NIF) sont également requises pour les personnes morales.
Ces informations sur les sociétés tirent au clair leur situation juridique. L’analyse de cette situation juridique est essentiellement basée sur la vérification et l’appréciation des éléments constitutifs de la création d’une société, de sa capacité juridique à exercer et de la capacité de ses dirigeants à engager valablement la société. Les banques doivent être alors attentives à tout ce qui est stipulé dans les statuts de façon à détecter les incohérences et le manque de concordance avec les dispositions légales.
Par ailleurs, les dispositions de l’article 24 de la loi n°2018-36 bis/PR/ portant règlementation des établissements de crédit invitent les banques à la vigilance en ces termes : « les établissements de crédit doivent exercer leur devoir de vigilance relative à la clientèle, prendre des mesures de vigilance adaptées à l’égard de leurs clients et mettre à jour et conserver les informations et documents relatifs aux clients et aux opérations dans le cadre de l’exercice de leur devoir de vigilance. Ils doivent déclarer les opérations suspectes ».
Les dispositions de l’article précité vont au-delà du rappel de l’obligation de vigilance des banques. Elles mettent en lumière sur les éléments que l’obligation doit se porter à savoir les clients et les opérations et mettent sur la charge des banques à la fois l’obligation de mise à jour des données clients pour une meilleure connaissance client et les obligations de conservation et de déclaration de soupçon.
Cette exigence rigoureuse s’inscrit dans le cadre de la lutte anti-blanchiment et le financement du terrorisme (LAB/TF). Ainsi, l’obligation de vigilance des banques devient accentuée et accrue d’où l’obligation de vigilance spécifique.
II- L’obligation de vigilance spécifique du banquier
Dans la politique de LAB/FT, les autorités mauritaniennes, en vue de se conformer et de contribuer à la sécurité des transactions financières internationales ont transposé les recommandations du GAFI en promulguant la loi n°2019-017 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et ses textes d’application.
Avec cette loi et ses textes d’application, la Mauritanie a révélé sa volonté de se conformer aux exigences internationales en matière de LAB/FT. Outre, les informations légales exigées des personnes physiques et morales, la loi sur la LAB/FT élargit cette exigence en impliquant les organismes à but non lucratifs. En effet, l’obligation de vigilance va se porter sur les bénéficiaires réels, les personnes politiques à risque, la déclaration de soupçon et les virements électroniques pour ne citer que ceux-là.
Les banques sont astreintes désormais de faire preuve de vigilance non seulement à l’occasion des ouvertures des comptes mais également en matière d’entrer en relation d’affaires avec ses correspondants. Elles doivent diligenter des mesures nécessaires aux fins de vérification de l’identité du bénéficiaire réel. Il s’agit de la personne détenant ou contrôlant plus de 10% des actions d’une société.
Ces mesures de vigilance renforcée sont prévues par les dispositions de l’article 3 du décret n°2019-197/PM/MJ portant application de la loi n°2019-017 relative à la LAB/FT.
Une obligation de vigilance particulière doit être observée auprès des personnes politiques à risque. Celles-ci comprennent les personnes chargées (ou auxquelles on a confié) des fonctions publiques supérieures au sein de l'État ou d'un État étranger, des fonctions administratives supérieures ou un poste dans une organisation internationale.
Cela inclut aussi les chefs d'État ou de gouvernement, les hauts responsables politiques, les responsables gouvernementaux, judiciaires et militaires, les hauts responsables d'entreprises appartenant à l'État et les hauts responsables de partis politiques, les présidents et directeurs d'organisations internationales, leurs suppléants, les membres de conseil d'administration ou toute autre fonction similaires.
Les membres de famille de ces personnes demeurent aussi visés dans cette définition (voir article 4 du décret précité). En matière de virements électroniques, les banques doivent s’assurer de l’identité de l’initiateur du transfert ainsi que celle du bénéficiaire du transfert au vu notamment de leur nom complet, leur numéro de compte, leur adresse (article 5 du décret précité). Cette mesure de vigilance permet d’assurer la traçabilité de l’opération à envisager et éventuellement déclarer ou s’interdire d’effectuer toute opération suspecte.
Les banques qui n’observent pas ces mesures de vigilance s’exposent aux risques de non-conformité qui auront pour conséquence la perte de leur respectabilité et la mise en mal de leur bonne réputation sans compter les pénalités règlementaires qu’elles feront l’objet de la part de l’autorité compétente, la Banque Centrale de Mauritanie.
En plus de ces mesures de vigilance accrue, les banques sont tenues de conserver pendant dix ans à compter de la date de la fin de la relation d'affaires ou l'opération occasionnelle tous les fichiers de comptes, opérations, correspondances, registres, documents, et données pour toutes les transactions, qu'elles soient financières, commerciales, en espèces ou autres, locales ou internationales, ainsi que toutes les données y afférentes et les résultats de toute analyse effectuée (art 12 de la loi sur la LAB/FT citée plus haut).
Ces diverses mesures doivent être appliquées aux seins des banques pour une lutte efficace contre la LAB/FT.
III- La mise en application de l’obligation de vigilance du banquier
L’obligation de vigilance et les mesures de vigilance à la charge ou sous la responsabilité des banques nécessitent la mise en place des ressources énormes.
En effet, les banques, pour se conformer à ces exigences législatives et réglementaires, doivent mettre en place un dispositif de LAB/FT susceptible de prévenir et de gérer le risque de non-conformité.
Et ce dispositif requiert à ce que soient mis en place des règles de gestion, des procédures et une organisation spécifique et des solutions informatiques adaptées et des référentiels de contrôle pour arriver à l’identification de la clientèle, au suivi des opérations, à la détection des comportements atypiques, à la conservation des documents et à la traçabilité des opérations inhabituelles.
En ce sens, la plupart des banques de la place ont mis en place un manuel de LAB conformément aux textes en vigueur et ont désigné un responsable de conformité chargé d’’identifier, de traiter et d’évaluer les risques de non-conformité auxquels elles s’exposent.
Dans la même optique, les banques, pour une meilleure connaissance client, remettent leurs clients un formulaire permettant de recueillir diverses informations, il s’agit de KYC (Know Your Customer) ce qui veut dire en français « connaitre son client » et pour les américains le FATCA.
Elles font recours également à l’acquisition des logiciels pointus à l’instar de DOW JONES qui est un logiciel efficace permettant de gérer les personnes politiques à risques.
La mise en application de l’obligation de vigilance passe inéluctablement par la formation continue du personnel des banques et la mise à jour constante de la liste des sanctions financières prises à l’encontre de certaines personnalités ou de certains pays. Les sanctions financières prises à l’encontre des oligarques russes et à la Russie sont de parfaites illustrations.
L’embargo du Mali des instances de la CEDEAO avant sa levée et qui a d’ailleurs profité à notre pays puisque leurs contons transitaient par le port Autonome de Nouakchott dit Port de l’Amitié (PANPA) s’inscrit dans cette logique.
Ba Mamadou, juriste d’affaires.
Conseiller juridique à la BFI