Il est empiriquement admis, à travers l’histoire politique contemporaine, que pour atteindre l’objectif d’une alternance réussie à travers une transition démocratique, il est nécessaire, pour les protagonistes ayant l’ambition du changement, de surmonter leur polarisation politique concurrentielle et de générer ainsi un climat de réassurance mutuelle.
Les expériences réussies, dans les pays du sud de l'Europe au cours des années soixante-dix du siècle dernier puis en Amérique latine, en Asie, en Europe de l'Est et en Afrique, révèlent que l'unification ou la fédération des composantes de l’opposition constitue une condition préalable au succès et à la durabilité de la plupart des alternances pacifiques au pouvoir ; à titre d’exemple, la marche du Sénégal, depuis l'an 2000, en valide l’enseignement.
Constats
Quant à la Mauritanie, les forces de l'opposition peuvent tirer, de leur propre expérience, le besoin urgent de resserrer les rangs ; l’on se souvient du score de 33%, réalisé en 1992, par le candidat à l’élection présidentielle, malgré la brutalité du régime militaire et l’étendue des fraudes. Un tel pourcentage n’a jamais été atteint depuis.
Aussi, les divergences à l’intérieur du camp de l’opposition historique, ont privé, le pays, d'une alternance démocratique en 2007 et l’ont plongé dans un état d'incapacité à influencer le cours de la vie politique, y compris la protection de la liberté d'association ; de même, cet échec a t-il empêché de faire obstacle aux processus de manipulation politique et électorale par lesquels les tenants du pouvoir actuel tentent, constamment, de perpétuer le statu quo, afin de barrer la route à la moindre opportunité de garantir la vérité des urnes.
Si nous faisons une lecture fine des résultats des élections législatives, régionales et municipales de 2018, en prenant en compte les défis du nouveau découpage administratif mis en place unilatéralement et des amendements du code électoral, il est facile d’imaginer, le contenu démobilisateur du message que la dispersion des efforts de l'opposition adresse aux électeurs.
Aller, à la prochaine compétition, en rangs dispersés, implique la certitude de défaites supplémentaires qui peuvent miner et compromettre l’avenir d’une évolution appréciable sur la voie du pluralisme. Les symptômes empiriques sont légion.
Les résultats électoraux précités de 2018 démontrent l'incapacité, des opposants et de leurs alliances restreintes, à remporter la présidence d’un conseil régional ou municipal, tout au moins dans l’une des principales villes, à l’exclusion relative des 3 wilayas de Nouakchott, la capitale. D’ailleurs, pour la première fois depuis 1994, la commune d'El Mina basculera au profit du parti de l’État.
1. Aucun des partis de l’opposition n'a réussi à remporter 2 sièges parlementaires, pas même un seul député dans les circonscriptions électorales au scrutin uninominal majoritaire à deux tours ; ainsi, s’achève la période où des personnalités indépendantes et des listes de l’opposition pouvaient défaire le parti au pouvoir, à Bogué, Tintane, Boutilimitt et OuadNaqa… Il ne s’agit, que des aspects les plus emblématiques.
2. En conséquence, si l'opposition n’interrompt pas son action d’éparpillement, l’ensemble des conseils régionaux, la plupart des municipalités et plus 50 % des sièges du Parlement (élu au scrutin majoritaire), pencheraient, nettement, en faveur du bloc du conservatisme, qu’incarnent le parti du pouvoir et ses satellites.
Il convient de relever que les chances des entités porteuses du projet d’alternance peuvent s’avérer modestes, à cause de leur faible nombre, en comparaison de la Majorité présidentielle.
Enjeux
3. Le pouvoir tente de faire apparaitre son acceptation de scrutins à la proportionnelle, lors de la désignation des conseils régionaux et municipaux, comme une concession à l'opposition et aux partis minoritaires.
Il s'agit, en réalité, d'une astuce au service du maintien de la suprématie et de la consolidation de l’hégémonie : les protagonistes assurés d’obtenir un certain niveau de représentation, grâce à la proportionnalité du scrutin, ne ressentent pas l’utilité d’unifier les rangs ; une telle méprise de leur part augmente les chances de la coalition de la majorité au pouvoir, de se retrouver, en première position électorale ; cette prééminence formelle lui permettrait de diriger la majorité des communes et l’essentiel des régions, en vertu du nouvel amendement stipulant que les leaders des collectivités locales doivent figurer à la tête de la liste ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages exprimés.
4. La deuxième feinte réside dans le fait que les présidents de régions et maires, par la force de la loi et non plus selon le décompte des voix des membres élus de leur conseil respectif, trouveront également, le soutien arbitraire de la gouvernance par décrets, quand leur manquera une majorité permettant de légiférer et de décider; en effet, les nouveaux amendements confèrent, à l'autorité de tutelle, la facultéde trancher tout différend entre le maire ou le chef de l'entité et la majorité du conseil qu'il conduit ; in fine, le ministère de l’Intérieur parvient à « déterminer des mécanismes en dehors du processus électoral », afin de résoudre les contradictions, comme il l’entend.
5. Les buts de l'autorité, tels qu’induits parsamalice politique et électorale, semblent plus partisans. Le découpage administratif, voté en dehors de toute forme de concertation favorise l’inégalité ; il en résulte une réduction significative de la proportionnalité dans les wilayas et les espaces de la ruralité, au profit d’une résolution des équilibres de représentation de tribu et de clan, aux quels le système clientéliste se confronte durant sa négociation perpétuelle avec les forces centrifuges.
Dans certains milieux, la marge de manœuvre de l'opposition, en vue de s’assurer un minimum de participation loin des centres urbains devient aléatoire.
La fragmentation de quelques municipalités, pour les convertir en unités purement tribales accorde au pouvoir le privilège d’apaiser, sans les perdre, les groupes alliés mais concurrents qui réclament, chacun, la direction de la municipalité et sa gestion néo-patrimoniale.
Perspectives
6. L'insistance de l'opposition à avancer sur la voie de sa propre atomisation et la primauté des « calculs égoïstes »au détriment de l'intérêt général, recèlent des signaux extrêmement dangereux, à l’adresse des classes, corporations et segments avides d’opérer le changement ; la posture de divisions aperait la confiance de l'opinion publique par rapport au sérieux des promoteurs de la rupture dont la capacité à diriger le pays ne cesse de subir le discrédit.
De là, découle la réticence à voter, tandis que d'autres succombent au piège des courtiers électoraux et des marchands de cartes d’identification nationale sanctuaire du droit à voter.
7. Les élections générales de l’été 2023 constitue, de manière cristallisante, un véritable test de l’aptitude, de l'opposition, à concourir efficacement au choix du Président de la République en 2024 ; son échec éventuel aux échéances de 2023 entrainerait la perte d'une autre opportunité de parvenir à une alternance sans bouleversement brusque et violent.
Outre la frustration des masses et la détérioration accrue de leurs conditions de vie, il importe de considérer, avec lucidité, l’exposition de la Mauritanie à des risques supplémentaires de vulnérabilité, dans un contexte global d’entropie, de plus en plus proches de ses frontières…
Nouakchott : 28 . Janvier . 2022
- Avant-gardes des forces de changement démocratique (AFCD)
- Parti Mauritanie Forte (PMF)