Le week-end le dernier, la mosquée Bilal, 13, chemin de Fitelle, a participé à l'opération portes ouvertes initiée par le Conseil français du culte musulman. L'occasion de rencontrer l'imam des lieux qui, pour la première fois, s'adonne à l'exercice de l'interview.
Dans quel état d'esprit êtes-vous aujourd'hui ?
Nous avons beaucoup, beaucoup de responsabilités et de fardeaux sur le dos. Je vous avoue que parfois l'imam a du mal à dormir, à se demander sans cesse «Comment on va faire ? Que dire ? ».Moi, je le dis clairement : je préfère être de ceux qui protègent ce pays et ses valeurs. Et, surtout, ne cédons pas à ceux qui veulent nous mettre les uns contre les autres, aux amalgames. Nous, ici, musulmans de France, dont les imams, nous sommes prêts à être au premier front contre le terrorisme. Ces gens-là se réclament de l'islam mais n'ont rien à voir avec lui ; leur lecture est dévoyée. Le Coran, c'est comme une pluie : lorsqu'elle tombe, elle peut tomber dans la gueule d'un serpent et le transformer en venin comme dans un coquillage et en faire une perle.
Un message d'ailleurs adressé directement au préfet ?
Je l'ai dit au préfet qui est venu samedi nous rendre visite : être né en France c'est une chance ! Moi, j'ai grandi en Côte d'Ivoire, puis en Guinée : ici, vous êtes malade, on ne va pas regarder votre religion ou votre couleur de peau, on va vous soigner ; en Guinée, pays musulman, vous n'avez pas de sous, vous mourrez devant l'hôpital. Ce qui s'est passé en Corse, c'est fou et inadmissible : les pompiers et la police attaqués alors qu'ils viennent pour sauver ? On doit les respecter. En Afrique, par exemple au Maroc ou en Algérie, on m'a souvent rapporté la violence policière, la partialité, et la corruption… En France, même si la justice n'est pas infaillible, cela n'a rien à voir avec celle de l'Arabie Saoudite, non ? ... L'homme faible d'esprit est fort en prétention… et les jeunes qui sombrent malheureusement dans le terrorisme sont faibles d'esprit. À propos de l'islam, je rappellerai que les divergences sur les fondements sont entre les chiites et les sunnites. Les sunnites représentent 90 % des musulmans du monde. Les «salafistes» sont une idéologie politique déviante, dont on souffre beaucoup.
Pour vous, l'Islam est compatible avec la France ?
Bien sûr que nous sommes compatibles à la France. L'islam est compatible à tous les temps, tous les lieux, tous les peuples. L'islam est une religion universelle. Ce n'est pas la religion d'un pays, d'une nation. Regardez mon histoire personnelle … (voire encadré) : le musulman, comme tout un chacun, se conforme, s'adapte au temps et au lieu où il se trouve ; il se doit de vivre en harmonie avec les tous gens dans l'époque et là où il vit. C'est tout…
Et les valeurs françaises ?
L'islam n'impose rien à personne : point de contraintes en matière de religion ; si Dieu l'avait voulu tous ceux qui sont sur Terre auraient cru, chapitre XXII, verset 40. Ainsi, le droit des femmes : l'islam conseille juste de rester pudique ; il n'y a pas de code vestimentaire mais une éthique. La religion est basée sur le volontariat et sur la conviction. On ne peut pas forcer à faire la prière ou à mettre le voile…
Compatible avec la laïcité ?
Si tout le monde est d'accord pour dire que laïcité = liberté de religion évidemment. Chrétiens, juifs, athées, on vit ensemble. Chacun pense ce qu'il veut et vit sa religion comme il le souhaite. D'accord à 1 000 % ! Liberté d'expression idem. Valable pour tout le monde, et évidemment toujours en respectant le droit. Donc, en France, le droit français.
Le droit au blasphème ?
Si on insulte Jésus, même en tant que musulman, moi aussi je ne serai pas content. Mais, chacun s'exprime et fait ce qu'il veut… Charlie Hebdo par exemple pense que la religion on peut s'en moquer : c'est leur droit. ça ne veut pas dire que je vais aimer et que je vais acheter un journal où il y a des caricatures. Mais, je ne vais pas commenter, critiquer, et à plus forte raison combattre ce droit : « Oppose ton bon caractère à ceux qui t'offensent et te font du mal, car c'est la seule arme que le croyant a.»
Comment êtes-vous devenu imam ?
Intéressé par l'islam, mais aussi agacé par les lacunes chez certains jeunes musulmans français qui les poussaient vers une pratique faussement rigoriste, je suis allé me former en Afrique du sud à Johannesburg ; en 2010, j'y ai acquis un diplôme d'imam en anglais et arabe. Et la mosquée Bilal m'a prié de la rejoindre pour l'assister dans une meilleure approche du Coran en langue française, notamment pour les jeunes soumis à des tentations de plus en plus pressantes.
Quelles sont vos charges ?
Un imam, il a deux grands rôles, un religieux - diriger les 5 prières quotidiennes notamment - et un autre social : aplanir certains litiges ou conflits par exemple entre un père et fils dont le comportement dérape ou encore entre un époux et sa femme ; l'imam intervient lors des décès, au moment des naissances, pour réconforter les malades, les visiter, prier pour eux. L'imam assiste ses fidèles au quotidien et les aide dans la mesure de sa capacité.
Un Guinéen né en Côte d'Ivoire
Boubacar Barry (Photo) , marié et père de famille, est né le 11 novembre 1977 à Abidjan en Côte d'Ivoire de parents Guinéens décédés très tôt. Après un bac A littéraire, il a retrouvé la Guinée pour des études universitaires de linguistique. «Parallèlement, le week-end, j'ai suivi quelques cours religieux à la mosquée en Côte d'Ivoire, où j'ai commencé à apprendre l'arabe et le Coran; enseignement que j'ai approfondi lorsque je suis arrivé à Conakry, une sorte de retour aux sources, mes parents étant d'origine Peul. Puis, je me suis marié avec une Guinéenne née en France d'une famille très connue à Marseille. Boubacar signale : «Au début, l'Europe, cette grande ville, l'intégration était un peu difficile; en 2003, nous nous sommes installés à Castres parce qu'un beau-frère était au 8e RPIMa.»
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