Coup d’Etat constitutionnel déjoué : Le sénat lève un tabou politique | L'Information

Coup d’Etat constitutionnel déjoué : Le sénat lève un tabou politique

lun, 03/20/2017 - 11:50

C’est une première dans les annales de l’histoire de la démocratie mauritanienne, particulièrement au niveau de l’hémicycle parlementaire, : la majorité présidentielle vote contre la volonté du Chef de l’Etat, du gouvernement et du parti au pouvoir et fait avorter leur cher projet de révision constitutionnelle, suscitant un élan de compliments et de félicitations chez l’opposition et l’opinion publique pour avoir, une fois n’est pas coutume, consacrer la suprématie de l’intérêt général aux ambitions d’un pouvoir personnalisé. Echos d’un événement inédit.

C’est ce coup de théâtre, qui s’est produit vendredi 17 mars dernier, avant minuit au sénat, alors que tous les pronostics misaient sur le vote favorable des amendements constitutionnels, déjà adoptés, le 9 mars dernier, par les députés par l’Assemblée nationale.

Les sénateurs rejettent à la grande surprise du pouvoir et de ses sbires et à l’euphorie de l’opposition et de l’opinion, le très controversé projet de révision constitutionnelle qui prévoit notamment la suppression de cette même chambre haute et le changement du drapeau mauritanien et de l’hymne national.

Sur les 56 sénateurs, 33 ont voté contre les amendements constitutionnels projet de révision soumis par le gouvernement. Le même texte avait été adopté le 9

Mais pour être validé, il devait être adopté par chacune des deux chambres du parlement à la majorité des deux tiers et ensuite être soumis à un congrès parlementaire.

Le coup d’Etat constitutionnel est déjoué, ne laissant pour le Président de la République que l’option du référendum populaire pour faire approuver le texte.

 

L’opposition jubile

 

L’opposition radicale, représentée par le forum national pour l’unité et la démocratie (FNDU), qui avait appelé les sénateurs, lors d’une marche suivie d’un meeting le 11 mars à Nouakchott, à refuser de ’’signer leur propre arrêt de mort’, a aussitôt salué le courage des parlementaires, vivement félicités pour avoir privilégier l’intérêt général aux ambitions d’un pouvoir personnalisé.

 

Félicitations du Forum

 

Le forum a adressé ses félicitations les plus vives et les plus sincères aux sénateurs « qui ont suivi leurs consciences en refusant de plier devant l’intimidation et le chantage pour se ranger du côté de leur peuple ». Il a salué également les députés qui se sont dressé contre cette manœuvre à l’Assemblée Nationale et .félicité l’ensemble du peuple mauritanien et toutes les forces patriotiques qui ont contribué à faire échec à ces amendements puérils.

 

Le RFD salue « le courage des sénateurs »

 

Le RFD a qualifié de « position honorable » celle des sénateurs qui ont rejeté les amendements constitutionnels proposés par le gouvernement. « C’est une expression de refus des parlementaires de toucher aux acquis et aux symboles du peuple mauritanien de cautionner le tripatouillage de la constitution au moment où la scène politique dans le pays connait de profondes divisions », dit le parti.

 

Ould Mohamed Vall appelle à graver le nom des sénateurs en or

 

L’ancien chef de l’Etat mauritanien Ely Ould Mohamed Vall a demandé à ce que soit « gravé en or sur la coupole du Sénat le nom des sénateurs », qui ont rejeté le projet de modification de la Constitution. « J’ai suivi avec une grande fierté cette position nationale courageuse », a-t-il déclaré, affirmant que, les sénateurs ont épargné le pays d’un "risque d’enlisement et d’effondrement" qui allaient être provoqués "par la modification de la Constitution non justifiée décidées par un pouvoir qui n’a pas la légitimité de gérer les affaires normales encore moins de toucher aux symboles sacrés et aux fondements. ».

 

"Si le vote n’était pas secret le résultat serait contraire" dit Samba Thiam

 

Selon le chef du parti FPC, "les sénateurs mauritaniens ont pris leur courage à deux mains" en rejetant le projet de modification de la constitution. Samba Thiam estime toutefois que "si le vote n’était pas secret le résultat serait contraire". « Je suis pour le principe du changement du drapeau et de l’hymne national. Mais ces points n’ont pas été retenus au dialogue. C’est plutôt (le président) Mohamed Ould Abdel Aziz qui voulait faire le forcing », a dit Samba Thiam.

Samba Thiam a par ailleurs appelé le gouvernement à "ouvrir les yeux sur le mécontentement évident et sur les tensions palpables que reflète le vote des sénateurs" contre les modifications constitutionnelles.

 

Le gouvernement profondément déçu

 

Le Premier ministre mauritanien Yahya Ould Hademine a passé la journée du dimanche, 19 mars courant, deuxième jour payé et chômé du week-end officiel, à la Primature, où il était à pied d’œuvre, indique-t-on, pour la préparation de la convocation d’une conférence parlementaire, avant que le vote « sanction » des sénateurs du projet de révision constitutionnelle, ne vienne tout bousculer. C’est toujours le mutisme chez les officiels, notamment chez le gouvernement et l’UPR, après le clash de vendredi.

 

Des sénateurs menacent d’ouvrir des dossiers sensibles

 

Certains sénateurs de la majorité, ont décidé d’affronter le système par l’ouverture d’enquête sur des dossiers sensibles si la campagne de propagande qui les décrit, notamment sur les médias officiels, comme traîtres et ennemis de la patrie ne cessait. Les sénateurs peuvent ouvrir une enquête sur les projets suspects à l’image du marché concernant le nouvel aéroport de Nouakchott, la vente de certains biens publics (écoles, blocs rouges), en plus de la divulgation du sort de certaines institutions publiques menacées de faillite : (ENER, ATTM), la responsabilité des autorités dans les sources de financement de la fondation Rahma de bienfaisance ainsi que de certaines banques et sociétés fictives.

 

Le Président et le gouvernement doivent démissionner

 

L’expert constitutionnel Mohamed Lemine Ould Dahi a déclaré que la solution constitutionnelle à la situation actuelle de la Mauritanie après le rejet par le Sénat du projet de modification de la Constitution, est la démission du président et de son gouvernement. Le président de la république doit assumer toute sa responsabilité car c’est lui qui a proposé le projet de la modification de la constitution et a cherché à convaincre les parlementaires et les a appelé à voter pour le passer. La responsabilité lui recommande de présenter sa démission, lui et son gouvernement. Ould Dahi a également dit que le projet de révision de la constitution actuelle est abandonné une fois pour toutes, que le rejet explicite par la majorité des membres du Sénat ne peut pas être contourné et qu’il n’est plus possible de reconduire le même projet d’amendement de quelque façon que ce soit.

 

Le Président n’a pas exercé de pressions dit une sénatrice

 

Le Président mauritanien n’a pas usé de pression sur les sénateurs pour adopter les amendements constitutionnels, pense la parlementaire de l’UPR, le parti au pouvoir, Malaouma Meiddah. Le Chef de l’Etat a laissé les sénateurs voter librement, suivant leur conviction, a-t-elle estimé, précisant que si réellement, le Président avait joué aux influences, le résultat aurait été autrement.

« Le vote des sénateurs est une réplique des parlementaires contre des déclarations, parfois abusives, tenues par des ministres et des députés à leur endroit », a-t-elle ajouté, citant par ailleurs, la possibilité d’un reflexe né de plusieurs facteurs dont le discours de Néma et autres querelles intestines au sein de la majorité présidentielle.

Il peut être aussi le fruit de manque de conviction des sénateurs sur le projet de révision notamment pour les traits rouges a-t-elle poursuivi, soulignant que même si le mérite de rendre hommage à la résistance est à louer, il ne devait pas pour autant pousser à changer le drapeau, dans le contexte actuel, qui est une chose difficile.

 

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