….Les rapports de voisinage, fussent-ils de lutte contre la revendication étrangère ou contre le terrorisme, alors qu’ils auraient dû être de frères à frères, n’étaient pas seuls à occuper les dirigeants mauritaniens. En Afrique d’abord, où la République Islamique de Mauritanie fut représentée à toutes les proclamations d’indépendance, dans les capitales des pays concernés. Le président Ould Daddah a personnellement dirigé les délégations mauritaniennes à Yaoundé, à Lomé, à Dakar (Fédération du Mali), à Mogadiscio, en Abidjan et à Lagos. Dans toutes ces capitales, il rencontrait non seulement les chefs d’Etat et les hauts responsables des pays visités, mais également de nombreuses délégations étrangères : africaines, arabes, européennes, asiatiques, américaines etc. A tous et à toutes, il exposait, inlassablement, ses arguments contre les prétentions annexionnistes du Maroc. A l’exception de la délégation tunisienne, toutes les délégations arabes étaient réservées à son égard, avec plus ou moins de courtoisie. Les apartés ou les brèves conversations qu’il a pu avoir avec les unes et avec les autres lui avaient démontré l’ignorance totale de ces délégations concernant la Mauritanie : toutes n’avaient entendu que le point de vue du Maroc.
Ce fut à Mogadiscio (Somalie), en juillet 1960, que le président Ould Daddah put rencontrer le premier responsable arabe qui acceptât d’avoir avec lui une discussion approfondie au sujet des revendications marocaines sur son pays. Responsable important, puisqu’il s’agissait de Mohamed Fayek, conseiller du Président Nasser pour les affaires africaines. A l’issue d’un long entretien, ce dernier lui promit de la rapporter fidèlement à son Chef d’Etat. Dès son retour au Caire il tint parole,comme le confirmera le Président Nasser lui-même au Président Ould Daddah, à Addis Abéba, en 1963.
En octobre 1960, le Président Ould Daddah eût à Lagos un entretien fort intéressant du point de vue diplomatique avec Sir Aboubakar Tarfawa Balewa, alors Premier ministre du Nigeria. À l’issue de cet entretien, lui assurant du soutien total du Nigéria, il lui déclara en substance : « j’ai dû mécontenter les Marocains car je leur ai expliqué la position du Nigeria relative à leurs revendications, sur votre pays. Je leur ai conseillé de renoncer à ces revendications, qui risquent de créer un précédent dangereux dans les rapports entre jeunes États africains. Les découpages coloniaux ont été si arbitrairement faits que tous les États frontaliers peuvent revendiquer un morceau plus ou moins grand des États voisins. En revendiquant non seulement la totalité de la Mauritanie, mais aussi une partie du Mali et même une partie du Sénégal, le Maroc se comporte en État expansionniste. C’est réellement très grave pour l’Afrique indépendante. De toute façon, votre présence à Lagos, où votre drapeau flotte à côté de celui du Maroc, prouve, s'il en était besoin, que le Nigéria reconnaît déjà la Mauritanie comme un État indépendant et souverain… Du reste, nous serons naturellement représentés à Nouakchott aux cérémonies qui marqueront, le mois prochain, l’accession de votre pays à l’indépendance ». Prise de position particulièrement importante compte tenu du poids spécifique considérable du Nigéria, en Afrique en général et en Afrique de l’Ouest en particulier. De plus, c’était le deuxième pays anglophone, après le Libéria, à apporter son soutien à la République Islamique de Mauritanie.
Ce fut à Lagos également que le Président Ould Daddah eu un très long entretien avec le Dr. Sadok Mokkadem, alors Ministre des Affaires étrangères de Tunisie. Après lui avoir posé beaucoup de questions sur le dossier mauritano-marocain, il lui assura du soutien inconditionnel et actif de son pays. Cette question, lui confia-t-il, « aura sûrement ces répercussions négatives sur nos relations avec le Maroc, répercussions qui risquent d’aller jusqu’à la rupture de nos relations diplomatiques avec le Royaume chérifien. Mais tant pis, votre cause nous paraît juste, raison pour laquelle nous allons reconnaître votre indépendance. Le commandant Suprême (Habib Bourguiba) ne badine pas avec les principes ». Le Commandant Suprême avait déjà été sensibilisé sur la question par un message que lui fis parvenir le président Ould Daddah par l’intermédiaire de Si Bourguiba Jr, alors ambassadeur tunisien à Paris. Encore à Lagos, il put rencontrer la délégation du F.L.N.
Toujours pour plaider sa cause devant l’opinion internationale, la République Islamique de Mauritanie envoya des missions de bonne volonté en Afrique, en Amérique du Sud, en Scandinavie. Dans les deux derniers groupes de pays, les missions mauritaniennes ont été partout accueillies par les ambassades de France, qui leur avaient considérablement préparé la tâche. Partout, elles ont été convenablement accueillies par les gouvernements des pays visités. Dans le même ordre d’idées, pour informer l’opinion internationale intoxiquée par la propagande marocaine, il fut publié en novembre 1960, un livre vert réfutant les arguments marocains contenus dans un livre blanc, diffusé quelque temps auparavant. C’est dans cet esprit que le président Ould Daddah participa, du 24 au 26 octobre 1960, en Abidjan, à la première conférence des chefs d’Etats et de Gouvernement africains et malgache d’expression française, réunie à l’initiative du président Félix Houphouët-Boigny. Il était le seul participant dont le pays, non encore indépendant, était revendiqué dans sa totalité par un puissant voisin. A l’issue de cette réunion, tous les chefs d’Etat présents (il s’agissait de tous les Etats issus de la Communauté franco-africaine) décidèrent d’accorder à son pays un soutien unanime dans sa lutte contre les prétentions marocaines. Ce soutien se révélera par la suite sans faille, actif et efficace.
Toujours dans cette lancée, il participa, du 11 au 13 mars 1960, à Bonn, en République fédérale d’Allemagne, à une conférence internationale sur l’assistance aux pays en voie de développement, il y avait pris la parole dans le but – essentiel – de mieux faire connaître son pays dans les cercles européens composant en majeure partie l’assistance.
Le 25 mai 1963, s’ouvrait le premier Congrès du P.P.M. à Nouakchott dans une atmosphère particulièrement tendue, du fait de tensions au sein du B.P.N. En effet, au lendemain de l’ouverture du Congrès, un évènement extérieur était survenu et qui contribua beaucoup à alourdir l’atmosphère à Nouakchott. Il s’agissait du retour inopiné, le 26 mars 1963, des transfuges revenant du Maroc, via Paris : Mohamed Fall Ould Oumeïr, Mohamed Mokhtar Ould Bah, Cheikh Ahmedou Ould Sidi et Mohamed Ahmed Ould Taki, qui étaient respectivement ministre d’Etat du gouvernement Marocain, directeur de l’information à Rabat, haut fonctionnaire marocain et directeur de cabinet de Ould Oumeïr. Bien sûr les autorités mauritaniennes avaient eu écho de la présence des intéressés à Paris et leur projet de revenir dans leur pays natal. Mais ils n’étaient pas sûrs de l’Information selon laquelle, ils devaient transiter par Dakar, auquel cas le Gouvernement sénégalais les aurait prévenus. Quoi qu’il en soit, cette arrivée intempestive, avec son cortège de rumeurs et de commentaires incontrôlables, souvent fantaisistes, qui trouvaient dans un grand rassemblement comme celui du Congrès un milieu idéal pour se répandre rapidement, avait intrigué les responsables et surpris les congressistes. Aussi le Gouvernement dut-il réagir, fermement et rapidement, sans tergiverser.
Les intéressés à peine descendus d’avion à Nouakchott, ont donc été cueillis et dirigés, par avion spécial, sur Tichitt où ils furent assignés à résidence.
Cette opération n’était pas sans risque, car Ould Oumeïr avait des partisans parmi les pro-Marocains et, surtout dans sa tribu guerrière des Oulad Ahmed Ben Damane de Mederdra. A ce propos, un rappel historique s’impose : depuis la fondation de l’Emirat du Trarza, dans le courant du XVIIe siècle, il y eut toujours deux branches rivales de la même famille émirale. Ces deux branches s’opposaient pour le blanc, signe vestimentaire distinct que l’Emir au pouvoir pouvait seul porter.
Avant la conquête française de la Mauritanie, presqu’aucun Emir n’était décédé de mort naturelle, durant la seconde moitié du XIXe siècle. Les candidats des deux branches s’éliminaient physiquement et successivement… ! Depuis l’occupation française au début du siècle, il n’y eut plus d’assassinat d’Emir mais le même clivage demeurait. Dès qu’une branche est au pouvoir, l’autre avec ses partisans d’Oulad Ahmed Ben Demane, est systématiquement dans l’opposition, même dans la formule imposée par l’administration française dans les années 1940, ou au début des années 1950, après le décès de l’Emir Ahmed Ould Deïd, pére de Ould Oumeïr, Cette formule avait consisté à nommer ce dernier comme Emir et à lui désigner, comme adjoint, Hbib Ould Ahmed Salem, fils du prédécesseur d’Ahmed Ould Deïd, père de Ould Oumeïr. Malgré les apparences, l’entente et la confiance n’avaient jamais existé réellement entrer les deux cousins rivaux. Aussi, lorsqu’après la fuite au Maroc d’Ould Oumeïr, le Gouvernement mauritanien de l’Epoque avait nommé Hbib comme Emir, les partisans de Mouhamed Fall Ould Oumeïr s’étaient constitués en opposants plus ou moins déclarés. Ils attendaient avec impatience le retour de leur leader. L’arrestation de ce dernier aurait pu provoquer des réactions violentes, non pas directement contre les autorités mauritaniennes mais contre l’Emir Hbib et les siens : le résultat aurait été le même puisque l’ordre public aurait été gravement troublé. Heureusement, il n’en fut rien. Le gouvernement alternant fermeté et souplesse, dialogue et mises en garde, a pu éviter des affrontements sanglants, qui ne se seraient pas limités aux Oulad Ahmed Ben Damane et n’auraient pas manqué d’entrainer dans le désordre d’autres tribus guerrières du Trarza, alliées des deux branches rivales de la famille émirale.
A Tichitt, le séjour des transfuges fut bref, puisque dès le 19 avril, le gouvernement décida leur libération. Aussitôt ramenés à Nouakchott, ils déclarèrent revenir sans arrière-pensée apporter leur contribution à la construction nationale. Pour bien montrer que le gouvernement les croyait sur parole et tournait la page en ce qui concerne leur passé, ils furent reçus à dîner par le président Ould Daddah. Mais celui-ci et son gouvernement n’allaient pas tarder à découvrir que les intéressés n’étaient pas sincères et qu’ils revenaient envoyés par le Maroc, pour essayer de réaliser, de l’intérieur, ce qu’ils n’avaient pu accomplir de l’extérieur. En effet, prenant les mesures gouvernementales en leur faveur pour de la faiblesse et non pour de la clémence, ils déclenchèrent presque ouvertement, une active campagne de propagande pro marocaine. Aussi le gouvernement mauritanien décida de les arrêter de nouveau, le 13 août et de les mettre en résidence surveillée dans divers centres de l’intérieur du pays, en attendant leur jugement par la Cour de Sûreté de l’Etat. Pendant la longue instruction de leur procès, Ould Oumeïr tomba malade. Evacué sur Dakar pour y être hospitalisé, il y mourut le 8 mai 1965 d’une grave maladie. Ses coaccusés, jugés les 7 et 8 juillet suivants, bénéficièrent d’un verdict particulièrement clément, et tous les trois furent réintégrés dans la fonction publique mauritanienne. (A suivre)…
NDL : En cette nouvelle année d'indépendance, puissions-nous aspirer à une véritable libération, celle qui nous accorde un droit fondamental : celui de revendiquer notre dignité humaine. Dans le deuil national déclaré en hommage à nos frères à Gaza (qu'Allah leur accorde patience et réconfort, nous leur adressons un message de soutien et de compassion), trouvons également l'opportunité de pleurer toutes ces vies fauchées par la discrimination et la violence en Mauritanie.
Nous exhortons le gouvernement et l'assemblée nationale mauritaniens à assumer leurs responsabilités en abolissant la loi d'amnistie octroyée aux personnes impliquées ou accusées dans les événements sanglants ayant secoué notre pays. La politique de l'Autriche a perduré trop longtemps. Nous ne pouvons plus rester insensibles aux appels du cœur de ces veuves et orphelins qui réclament simplement justice. J'ai la conviction que le peuple mauritanien, ayant apprivoisé ce désert aride et enduré tant de souffrances infligées par ceux censés les protéger et les nourrir pour qu'ils vivent dignement, aspire non pas à la vengeance, mais à la lumière de la vérité pour amorcer une réconciliation authentique des cœurs, loin des symboles creux d'unité nationale entonnés ici et là.
Je souhaite à tous mes compatriotes mauritaniens une joyeuse fête d'indépendance.
Auteur : Diop Cheikh Tijane
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