Mauritanie-Mali : on peut ne pas être amis mais on ne se fait pas la guerre | L'Information

Mauritanie-Mali : on peut ne pas être amis mais on ne se fait pas la guerre

mar, 04/23/2024 - 18:58

Le ministère mauritanien des affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur du Mali accrédité à Nouakchott, pour protester contre les crimes récurrents perpétrés par l’armée malienne contre des Mauritaniens. La situation commençait en effet à se dégrader dangereusement avec la junte au pouvoir au Mali, sous l’influence de courants nationalistes tentés de déstabiliser la Mauritanie, à travers de petites escarmouches à la frontière et au-delà, au prétexte de poursuivre des rebelles, y compris à travers la milice Wagner.

Ces actes hostiles sont très graves et compliquent les efforts de la Mauritanie pour rester en bons termes avec le Mali, même si, objectivement, il n’y a aucun ingrédient pour l’éclatement d’un conflit entre nos deux pays. La Mauritanie n’hébergeant pas de groupes armées et il n’y a pas de revendications territoriales de part et d’autre. Cette mésentente politique contient toutefois des latences fratricides que la fragilité de nos deux pays ne saurait supporter. La Mauritanie n’a pas de moyens à consacrer à une course additionnelle à l’armement et le Mali n’a pas intérêt à ouvrir de nouveaux fronts. A ce titre, cette crise devrait être considérée comme un signal d’alarme et traité en conséquence.

UNE JUNTE POPULISTE ET SANS EXPÉRIENCE

Le changement de régime au Mali, consécutif au second putsch militaire, a été marqué par l’accession au pouvoir d’une nouvelle génération d’officiers jeunes, imbus d’un nationalisme ombrageux, qui les a porté à s’éloigner de la France et à se rapprocher de la Russie et du groupe Wagner. Les membres de la junte pensent que le soutien des Russes, avec l’acquisition de quelques MIG, d’hélicoptères et de drones militaires, peut changer la donne régionale et conférer au pays le statut de puissance au Sahel. En récupérant Gao avec une facilité inattendue, ils estiment que l’armée pourrait contrôler durablement tout le Nord sans grand effort.

Il s’agit donc d’une junte relativement aventuriste et victime de sa propre surenchère. En effet, les officiers à la tête du pays sont engagés dans une surenchère et chacun d’entre eux cherche, manifestement, à montrer qu’il est plus patriote que l’autre, sur fond de rivalités internes. Leur capacité d’analyse est contrariée par la propension à chercher à plaire aux foules et leurs décisions ne sont pas forcément bien étudiées. Quand la légitimité tient par la rue, on n’est plus vraiment rationnel et on ne pense pas aux conséquences. Il en découle une impression de confusion, sans que l’on sache réellement qui dirige le pays ou qui contrôle la situation. Quant au chef de la junte, Assimi Goita, il est barricadé dans une caserne et parait enfermé dans une vision paranoïaque, pensant être victime d’un complot de la France, avec l’appui des pays voisins, pour déstabiliser le Mali.

UN NATIONALISME BELLIQUEUX

La particularité de la junte au Mali est qu’elle est aussi très sensible aux thèses populistes et se gargarise de slogans nationalistes vantant la souveraineté du pays et la "reconquête" territoriale engagée par son armée. Ce courant nationaliste, très influent au sein de l’armée malienne et du gouvernement, est incarné notamment par les groupes nationalistes, tels que la milice Ganda Koy.

C’est un courant qui nie l’existence de la question touareg, présentée comme un problème artificiel, résultant d’un complot étranger, tout en décrivant le conflit dans le Nord en termes raciaux. L’irrédentisme dans la région de l’Azawad serait donc nourri par l’Algérie et la Mauritanie, qui n’auraient pas intérêt à ce que le Mali soit un État stable.

Cette propagande aux relents belliqueux cherche à faire porter la responsabilité de la crise malienne à l’Algérie et à la Mauritanie, marquant ainsi une rupture par rapport aux gouvernements maliens successifs qui se sont toujours démarqués de cette thèse, en développant des relations privilégiées avec ces deux pays.

Il y a quelques mois, lors d’un concert de musique à Bamako, le chanteur populaire Salif Keita s’en était pris violemment à la Mauritanie et l’Algérie, en les présentant comme étant les sources du terrorisme au Mali. Selon toute probabilité, ce chanteur ne se serait exprimé ainsi sans l’aval, voire l’encouragement de la junte au pouvoir.

SITUATION POTENTIELLEMENT EXPLOSIVE ENTRE LE MALI ET L’ALGÉRIE

La posture nationaliste des officiers au pouvoir au Mali est d’autant plus dangereuse qu’elle est porteuse de risques d’aventures aux conséquences non calculées de la part d’une junte qui manque clairement d’expérience. En effet, elle ne semble pas être pleinement consciente que le Mali ne peut aspirer à la stabilité si ses deux voisins, l’Algérie et la Mauritanie, avec lesquels il partage une longue frontière, ne jouent pas le jeu, de manière active.

Déjà, la junte s’était embrouillée avec l’Algérie, au prétexte de la réception d’un leader religieux malien, qui avait d’ailleurs béni et contribué à légitimer le putsch, avant de s’en éloigner, après le maintien de dispositions relatives à la laïcité de l’État dans la nouvelle Constitution. Au passage, le maintien de telles dispositions, en droite ligne de l’héritage colonial français, montre que la défiance actuelle des élites au pouvoir à l’égard de la France n’est pas aussi profonde qu’on a tendance à le penser.

Dans une décision, pour le moins maladroite et qui ramène clairement le pays en arrière, le gouvernement malien a dénoncé unilatéralement l’accord d’Alger, négocié sous les auspices de l’Algérie, pour mettre fin à la guerre civile. Alors que ce pays avait réussi à convaincre les groupes touareg, dont le MNLA, qui ont un agenda purement nationaliste, de traiter avec le gouvernement central, en contrepartie de concessions pouvant évoluer vers une sorte d’autonomie.

Parallèlement, le Mali est en train de développer des relations très étroites avec le Maroc et pourrait être tenté de reconnaitre la souveraineté de ce pays sur le Sahara occidental, alors qu’il avait jusqu’ici une position prudente sur cette question, basée sur la référence internationale. Le point de non-retour pourrait être cette reconnaissance, qui serait synonyme de casus belli pour l’Algérie. Dans un tel cas de figure, celle-ci n’hésitera pas à soutenir les mouvements touareg. Les Algériens ont suffisamment de capacité de nuisance, pour déstabiliser facilement le Mali, à travers le soutien à des mouvements rompus à la guérilla et qui connaissent bien le terrain, avec l’assentiment tacite de la France, qui faisait jusqu’ici figure de contre-poids de l’Algérie.

De façon prosaïque, il suffirait simplement que la Mauritanie et l’Algérie ferment les yeux sur le trafic d’armes transfrontalier pour déstabiliser le Mali, compte tenu de la circulation des armes à partir de la Libye. Sans oublier que l’armée algérienne disposerait, selon les médias, d’agents infiltrés au sein d’AQMI.

CALMONS LE JEU

C’est donc une conjecture extrêmement périlleuse pour le gouvernement malien. D’ailleurs, ce dernier semble avoir compris que l’escalade n’est pas dans son intérêt. Il vient de dépêcher à Nouakchott son ministre de la défense pour tenter de désamorcer la crise, ce qui pourrait être considéré comme une mesure visant à calmer le jeu. Plus récemment, il avait pris la décision de renvoyer son ambassadeur en Algérie. Par ailleurs, le chef de la junte a appelé à un "dialogue" avec les groupes armés, sans toutefois préciser les conditions d’une telle initiative. Ce dialogue semble formel, en l’absence de garant extérieur suffisamment crédible pour ramener toutes les parties prenantes à la table des négociations.

De son côté, la Mauritanie gagnerait davantage à calmer le jeu, car elle ne saurait se permettre d’avoir un conflit avec un pays voisin, surtout dirigé par un régime relativement immature et inconscient des contraintes géopolitiques. Elle devrait faire attention et veiller, coûte que coûte, à ne pas rééditer une crise similaire à celle avec le Sénégal en 1989.

Aujourd’hui, notre pays devrait chercher à garder de très bonnes relations avec le Mali, même si les officiers de la junte ne donnent pas l’impression d’en être demandeurs. Il ne faudrait pas exclure que les chefs de la junte à Bamako reviendront vite de leurs illusions, en faveur d’une approche plus réaliste, compte tenu des relations privilégiées qu’entretenaient nos deux pays dans le passé. Dans un geste rassurant, la Mauritanie avait, au lendemain du putsch, rejeté l’idée du blocus économique et du boycott préconisé par la CEDEAO contre le Mali, malgré l’accord d’association qui la lie à cette organisation, offrant ainsi au Mali un précieux accès frontalier.

Par ailleurs, la Mauritanie gagnerait à coordonner étroitement avec l’Algérie qui fait aussi les frais de l’attitude agressive de la junte malienne, notamment sur la question de la rébellion du Nord Mali, compte tenu de ses intérêts dans la région, et de ce que l’Algérie a longtemps été un facteur de stabilisation, à travers la médiation ayant abouti à l’accord d’Alger. Elle devrait préserver ses chances d’appuyer les efforts de médiation, avec l’Algérie, maintenant que la France est hors jeu dans la région, sachant que la stabilité du Mali passe par la négociation d’un nouvel accord avec les Touareg.

Aussi, la Mauritanie devrait faire preuve de vigilance et éviter que la France ne lui fasse jouer un rôle qui n’est pas le sien, en l’impliquant dans une éventuelle crise avec le gouvernement malien, ou en l’entrainant dans un front commun contre les régimes putschistes de la région (Mali, Burkina et Niger).

En définitive, soit notre pays joue le même jeu que le Mali et on risque la confrontation, soit le gouvernement calme le jeu au niveau diplomatique, même s’il est clair qu’il est relativement difficile de traiter avec la junte à Bamako. Il faudrait fermer la frontière, pour des raisons de sécurité, ce que d’ailleurs notre pays aurait dû faire il y a deux ans, au début des exactions. Il faudrait surtout garder des contacts continus avec la junte militaire, mais en refusant toute incursion de son armée en territoire mauritanien, sans oublier d’exiger de la Russie de contrôler sa milice. En effet, notre pays ne peut continuer à faire les frais de provocations délibérées, dans le cadre de surenchères entre les différents hommes forts au sein de la junte au Mali, soutenue par une milice étrangère.

Mohamed El Mounir