Les pasteurs pulaarophones du Guidimakha rendent hommage, à l'occasion de la célébration de la Journée internationale des droits de l’Homme, aux victimes oubliées de l’épuration ethnique en Mauritanie (1986-1991):  | L'Information

Les pasteurs pulaarophones du Guidimakha rendent hommage, à l'occasion de la célébration de la Journée internationale des droits de l’Homme, aux victimes oubliées de l’épuration ethnique en Mauritanie (1986-1991): 

sam, 12/10/2022 - 23:02

A l’occasion de la Journée internationale des droits de l’Homme, Ira-M réitère son engagement contre l’oubli et l’impunité. Par-delà les rassemblements annuels d’hommage à la communauté des disparus, suppliciés et déportés, dans les localités martyres de Azlat, Jreïda, Inal, Sorimalé et Wothie, nous rouvrons, cette année, la page des massacres commis, au Guidimakha, contre des paysans et éleveurs, tous locuteurs du Pulaar. A mesure que le temps passe, de nouveaux témoignages affluent et confirment l'implication des forces de sécurité et des milices, sous l’égide d’une administration territoriale dont la chaîne de commandement reste à l’abri de la moindre poursuite en justice. Parce que la peur s’estompe, le désir d’équité ressurgit, reprend de sa vigueur ; le sel de la mémoire et la fatalité de la réparation constituent, en l’occurrence, le vecteur inépuisable de notre détermination à contrecarrer la « loi d’amnistie », du 14 juin 1993.  

A l’époque, sous l’autorité du Gouverneur, Dah Ould Abdeljelil, récemment recyclé à la présidence de la Commission nationale électorale indépendante (Ceni), selon le témoignage de monsieur Mokhtar Diallo ici présent aujourd’hui, de nombreux hameaux et campements de bouviers nomades endurent, durant 3 ans, la violence d’escadrons jusqu’ici au-dessus du droit ; la quasi-totalité des exactions et tueries, dessous rapportées, se déroulaient, en 1989 et 1990 ; elles engagent la responsabilité, exclusive, de Mauritaniens, anciens maîtres (Bidhane) et descendants d’esclaves (Hratine). L’identité ethnolinguistique des auteurs ne varie.

1. A Nebiya, commune de Ould Yengé, l’unique famille occupant les lieux, est décimée.  Le père, Adama Ndiaye, son épouse Souadou et leurs sept enfants furent battus et emmenés, par un groupe de miliciens et le bétail spolié, le même jour. Ils ne reviendront jamais ; d’ailleurs, la majorité des civils, victimes d’assassinats à visée raciste, n’a bénéficié d’une localisation funéraire.

2. A Mouta’alla, bourg du département de Ould Yengé, des militaires, un matin, rassemblent 27 personnes (hommes, femmes et enfants), pour les conduire, en convoi, vers une destination inconnue. Les survivants ne parviendront à retrouver la trace des captifs.

3. A Tektaake, orée de Ould Yengé, deux hommes, emmenés par des soldats en uniforme, n’ont plus donné signe de vie, abandonnant, progéniture, logis et biens. 

4. A Mudji, entre Selibaby et Gouraye, des éléments de l’armée procèdent à l’interpellation de 7 jeunes qui jouaient aux cartes, chez l’un d’eux. Ligotés et conduits, de force, hors du périmètre du village, aucun d’eux ne refait signe.

5. A Weyduyol, quartier de Sélibaby, chef-lieu du Guidimakha, 13 individus, de sexe masculin, succombent à la brutalité des hommes en uniforme ; trois périssent, dans la rue, à coups de pierres sur la tête et dix, à bout portant ou touchant, les tirs de fusil ayant visé la tête.

6. A Boruuji, municipalité de Gouraye, un détachement de la Garde nationale se saisit de 5 vendeurs de viande sur pied, raflés en rase campagne. Ils entrent, entravés, à la garnison, où leur arrivée provoque l’émoi des riverains ; un vieux notable soninké intervient, afin d’arracher la libération du plus jeune, au motif qu’il serait orphelin ; sa doléance obtient satisfaction mais les quatre autres n’en ressortiront plus sauf pour être enterrés, morts, dans un site entre Djaguili et Moullisimon.

7. A Kalinioro, département de Ould Yengé :

- Le directeur de l’école, Hadiya Ba, apprend que des miliciens arabophones entreprennent d’exproprier le patrimoine bovin de sa collectivité ; il se rend à l’endroit de l’incident et y trouve l’un de ses neveu, enchaîné au milieu des assaillants ; quand il tente de le détacher en discutant avec eux, il essuie une rafale, de leur arme d’assaut et succombe, aussitôt. Séance tenante, il fut enseveli dans un ravin naturellement creusé à la suite d’un écoulement des eaux de pluie ; après plusieurs réclamations du corps, le préfet de Ould Yengé supervise l’exhumation et remet, la dépouille, aux siens.

- Djibi Samba, éleveur de génisses, est abattu, sous les balles de la milice, tandis qu’il gardait ses veaux.  Il est inhumé aux alentours.

8. A Mbomé et Gurel Mamudu, espace administratif de Gouraye, des gardes en tenue, ramassent les hommes valides et les internent, dans leur base ; ensuite, dès la tombée de la nuit, ils repartent violer les filles et femmes, restées seules, en compagnie d’enfants et de quelques vieillards. Aucun homicide n’est enregistré, car la troupe répugnait, en général, à liquider, les femmes et les enfants, devant témoins.

9. A Dubalde, non loin de Ould Yengé, 9 pisteurs d’animaux volés par les miliciens s’évaporent, dans la nature.

10. A mi-chemin de Dangremu et Chagaar, à l’orée de Sélibaby, le dénommé Koundel disparaît.

11. Entre Kumba Ndaw et Guemou, circonscription de Ghabou, Mamadou Dioum, un bûcheron et son fils vont à la découpe, pour n’en jamais revenir….

12. A Sélibaby-ville :

- Yaya Tall, parti à la recherche de son troupeau, ne réapparaît plus ; son fils y réside encore.

- Bala Sow subit une exécution extrajudiciaire, en périphérie de l’agglomération, alors qu’il suivait les traces de son cheptel. La sépulture est identifiée.

13- Kagnogol, un périmètre de culture à l’orée de Mbayédiam, Hamadi kibbo, parti chercher son chameau est abattu par balle au moment où il liait son chameau ; après leur forfaiture sanglante, les miliciens en tenues militaires emportèrent le chameau.

Conclusion

Au terme de cet exercice de documentation non exhaustive, Ira-M ouvre le registre de la remémoration, à tout détenteur d’une bribe de détail qui extirperait, du néant abyssal, le passage sur terre, d’un parent, d’un ami, d’une connaissance, toutes victimes, trop tôt ôtées à la vie, par la convergence du sentiment de supériorité et du rejet violent de la différence ainsi que  l’assurance induite. L’appel s’adresse, d’abord, aux sections locales de notre association, en particulier dans la Vallée du fleuve. Un jour, proche, bien plus proche qu’il ne paraît, les coupables rendront compte - même en dépit d’un exil doré au Qatar. La publication de la vérité, enfin, libérera, le tortionnaire, de ses angoisses et le rescapé de son ressentiment. Alors, la Mauritanie pourrait se réinventer un avenir.

 

10 décembre 2022, siège de l’IRA-M, Nouakchott, Mauritanie

Le bureau Exécutif

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