Les plans d’action de l’UE concernant la lutte contre la migration irrégulière se suivent et se ressemblent. En effet, la recette demeure la même: dialogue et coopération, lutte contre le trafic de migrants et la traite des êtres humains et surtout retours et réadmissions. Autrement dit, plus de sécurisation de la question migratoire et davantage de renforcement du contrôle des flux. Et le dernier plan d'action de l'UE concernant les routes migratoires de la Méditerranée occidentale et de l'Atlantique, présenté mardi dernier par la Commission européenne (CE), ne fait pas l’exception.
Du déjà-vu
Selon un communiqué de presse de la CE, ce programme comprend « 18 mesures opérationnelles, ciblées, structurées autour de deux piliers, à savoir le renforcement de la coopération avec les pays partenaires pour la lutte contre le trafic de migrants et la traite des êtres humains; et la consolidation des mesures opérationnelles de recherche et de sauvetage, des procédures de retour et de la solidarité volontaire». Il s’agit du troisième plan que la Commission présente pour soutenir les Etats membres, après le plan d'action concernant la Méditerranée centrale et celui concernant les Balkans occidentaux en 2022.
L’objectif recherché, toujours selon le communiqué de la CE, est «d’aider les Etats membres à améliorer la gestion des migrations le long de ces routes, à prévenir les départs irréguliers et à sauver des vies, tout en travaillant en étroite collaboration avec les principaux pays partenaires» dont le Maroc.
En détail, la CE considère «le renforcement de la coopération avec les pays partenaires comme essentiel pour relever les défis en matière de migration et lutter contre le trafic de migrants». A ce propos, elle met l'accent sur la prévention de la migration irrégulière en luttant contre le trafic de migrants et la traite des êtres humains, grâce au renforcement de la gestion des frontières. A cette fin, l'UE intensifiera ses travaux dans certains domaines, à savoir la définition de priorités opérationnelles à court terme et de mesures de coordination entre l'UE et les Etats membres pour faire face aux migrations en adoptant une approche axée sur l'ensemble de la route, dans le cadre d'une approche «Equipe Europe»; la prévention de la migration irrégulière par la lutte contre le trafic de migrants et la traite de des êtres humains, en mettant en œuvre le partenariat opérationnel de lutte contre le trafic de migrants avec le Maroc, en lançant dans ce contexte un programme régional financé au titre de l'IVCDCI – Europe dans le monde et en consolidant globalement les activités de lutte contre le trafic de migrants avec les pays partenaires d'Afrique tout au long de la route, tout en soutenant les efforts de lutte contre la traite des êtres humains ; la gestion des frontières, en renforçant les capacités du Maroc, de la Mauritanie, du Sénégal et de la Gambie à mettre en place des actions ciblées de prévention des départs irréguliers et en favorisant une coopération bilatérale accrue entre Frontex et le Maroc, la Mauritanie et le Sénégal ; le retour, la réadmission et la réintégration, en soutenant les opérations de protection et de retour volontaire en Afrique du Nord et dans les pays du Sahel, et en renforçant le dialogue en cours afin d'améliorer la coopération pratique en matière de réadmission et de favoriser une réintégration durable des personnes faisant l'objet d'une décision de retour dans leur pays d'origine; la protection et les voies légales d'accès, en favorisant la mise en œuvre efficace de mécanismes de protection dans les pays partenaires, tout en promouvant et en soutenant les voies légales d'accès à la protection dans l'UE grâce à la réinstallation, à l'admission humanitaire et à des voies complémentaires ; la migration de main-d'œuvre et des partenariats destinés à attirer les talents. La mise en œuvre du partenariat avec le Maroc destiné à attirer les talents est une priorité. La Commission évalue aussi actuellement la faisabilité du lancement de programmes de migration légale et de mobilité avec le Nigeria et le Sénégal.
Plus de retour des migrants
Sur un autre registre, la CE cherche à renforcer les mesures opérationnelles concernant la recherche et le sauvetage, les procédures de retour et la fluidité et la rapidité de la solidarité volontaire. Dans ce sens, l’UE compte accélérer ses travaux dans les domaines suivants: l’évaluation ciblée par Frontex de la situation en Méditerranée occidentale et dans l'Atlantique, en étroite coopération avec les Etats membres, le renforcement de la coopération entre les Etats membres de l'UE en ce qui concerne les retours vers les pays partenaires (conseil en matière de retour, aide à l'identification et à la délivrance de documents de voyage, coordination des vols de retour, etc.), ainsi que la réintégration durable des personnes faisant l'objet d'une décision de retour, notamment grâce au soutien de la coordinatrice de l'UE chargée des retours et par l'intermédiaire du Réseau de haut niveau pour les retours ; l’établissement d'un lien entre la réintégration des rapatriés volontaires et les investissements des Etats membres et des entreprises européennes dans les pays d'origine et de transit, notamment pour favoriser la création d'emplois et le développement des compétences ; des réactions plus efficaces et plus rapides dans le cadre du mécanisme de solidarité volontaire, avec le soutien de la Commission et de l'Agence de l'UE pour l'asile.
A mesure que la mise en œuvre du mécanisme se poursuit, les Etats qui ont pris des engagements sont également encouragés à faire preuve de souplesse pour alléger la pression exercée sur le système d'accueil dans les Etats membres de première entrée.
Pour la Commission, ce plan est présenté dans la perspective de la réunion du Conseil «Justice et affaires intérieures» et du Conseil européen (29 et 30 juin). Selon elle, ce plan d'action complète les travaux en cours ciblant d'autres routes migratoires essentielles vers l'Europe et pourra servir de modèle pour élaborer des plans similaires pour d'autres routes migratoires.
Enjeux de la sécurisation
Dans son article: «Les enjeux de la sécurisation de la question migratoire dans les relations de l'Union européenne avec l'Afrique. Un essai d'analyse», le chercheur Lorenzo Gabrielli soutient que «le volet extérieur des politiques d’immigration européennes se développe dans un cadre marqué par une focalisation de la question migratoire comme un problème de sécurité, autant intérieure qu’extérieure». Selon lui, cette superposition progressive des champs de la sécurité intérieure et extérieure a pour effet d’appliquer «des mesures de politique d’immigration généralement développées pour l’intérieur dans la sphère extérieure».
De l’autre côté, «des mesures de politique extérieure, ainsi que des mesures de politique migratoire de long terme, sont de plus en plus utilisées pour atteindre des objectifs en matière de contrôle des flux migratoires». Tout en soulignant qu‘«une délégation du contrôle migratoire se met en place vers certains pays africains, parallèlement à une intensification des retours forcés de migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile déboutés. «Suite aux pressions européennes surtout vers les pays de transit des flux migratoires vers l’Europe, une série de zones tampons à différentes intensités de filtrage est donc en train d’être bâtie en Afrique», précise-t-il.
De plus, ajoute-t-il, «l’application européenne d’une approche intégrée de la question migratoire détermine, dans le cadre euro-africain, une relation stricte entre ce processus de délégation du contrôle et la conclusion d’accords commerciaux, ainsi que la concession de l’aide au développement».
A ce propos, il explique que l’utilisation de ces instruments dans un but de politique migratoire soulève la question du ‘détournement’ de leurs finalités, en particulier dans le cas de l’aide au développement.
«De telles façons, on risque de mettre la priorité, dans certains cas, sur le développement des systèmes de gestion des flux migratoires plutôt que sur le développement du pays tout court. En même temps, la naissante conditionnalité migratoire peut s’imposer aux autres types de conditionnalités comme la conditionnalité démocratique et même aller à l’encontre d’elles. Il existe alors le risque de supporter des gouvernements peu, ou pas du tout, démocratiques en échange d’une gestion effective du contrôle des flux», a conclu Lorenzo Gabrielli.
Hassan Bentaleb