Le 5 novembre, Loubna Abidar était victime d'une violente agression. La comédienne du film Much Loved a finalement décidé de quitter le Maroc. Elle s'en explique dans une tribune publiée dans Le Monde.
Depuis sa sortie, le filmMuch Loved créé la controverse. Interdit au Maroc, le long-métrage, qui suit l'histoire de prostituées, a en effet fait l'objet d'une plainte par l'association marocaine de défense des citoyens. Cette dernière considère que le film de Nabil Ayouch porte atteinte à l'image des femmes marocaines. Si l'actrice Loubna Abidar avait déjà révélé avoir reçu des menaces, le 5 novembre dernier, elle a malheureusement été victime d'une agression.
Le visage tuméfié et ensanglanté, la jeune femme avait raconté son agression dans une vidéo postée sur Facebook. "J'ai été agressée. Les médecins, les cliniques et les commissariats ont refusé de m'accueillir. Je suis allée au grand commissariat en pleine nuit et on m'a reçue avec des rires", a-t-elle raconté sur le réseau social, révélant également qu'un policier avant même lancé : ‘'Enfin, Abidar a été frappée!''.
Vivant désormais dans la peur, Loubna Abidar a finalement décidé de quitter le Maroc. Dans une tribune publiée dans Le Monde, elle explique son choix.
"Après des petits rôles au théâtre et dans des films commerciaux, j'ai obtenu le premier rôle dans le long-métrage Much Loved, de Nabil Ayouch. C'était le plus beau jour de ma vie, car j'allais pouvoir travailler avec un réalisateur talentueux et internationalement reconnu, et parce que j'allais donner la parole à toutes celles avec lesquelles j'avais grandi : ces petites filles des quartiers qui n'apprennent ni à lire ni à écrire, mais auxquelles on dit sans cesse qu'un jour elles rencontreront un homme riche qui les emmènera loin... Dès 14-15 ans, elles sortent tous les soirs dans le but de le trouver. Un jour, elles réalisent qu'elles sont devenues des prostituées", confie Loubna Abidar, en expliquant que le lendemain de la présentation du long-métrage au Festival de Cannes, ‘'un mouvement de haine a démarré au Maroc''.
"Rien n'a calmé la haine"
"Une campagne de détestation s'est répandue sur les réseaux sociaux et dans la population. Personne n'avait encore vu le film au Maroc, et il était déjà devenu le sujet numéro un de toutes les discussions. La violence augmentait de jour en jour, à l'encontre de Nabil 'le juif' (sa mère est une juive tunisienne) et à mon encontre. Je dérangeais à mon tour, parce que j'avais le premier rôle, parce que j'en étais fière, et parce que je prenais position ouvertement contre l'hypocrisie par des déclarations nombreuses'', poursuit la comédienne de 29 ans, qui précise cependant avoir reçu des soutiens en France, où elle a notamment reçu le Prix de la meilleure actrice au Festival du film d'Angoulême, mais également au Maroc de la part de prostituées marocaines.
Dans sa tribune, Loubna Abidar affirme que "rien n'a calmé la haine" contre elle, bien au contraire. Insultée sur Facebook et Twitter, l'actrice révèle recevoir chaque semaine des menaces de mort. ‘'J'ai encore des amis et des proches pour me soutenir, mais beaucoup se sont détournés de moi. Pendant des semaines, je ne suis pas sortie de chez moi, ou alors uniquement pour des courses rapides, cachée sous une burqa (quel paradoxe, me sentir protégée grâce à une burqa...)'', poursuit-elle, avant de raconter en détails son agression.
"On m'insulte parce que je suis une femme libre"
"Ces derniers jours, le temps passant, la tension me semblait retombée. Alors jeudi 5 novembre, le soir, je suis allée à Casablanca à visage découvert. J'y ai été agressée par trois jeunes hommes. J'étais dans la rue, ils étaient dans leur voiture, ils m'ont vue et reconnue, ils étaient saouls, ils m'ont fait monter dans leur véhicule, ils ont roulé pendant de très longues minutes et pendant ce temps ils m'ont frappée sur le corps et au visage tout en m'insultant. J'ai eu de la chance, ce n'était 'que' des jeunes enivrés qui voulaient s'amuser... D'autres auraient pu me tuer. La nuit a été terrible. Les médecins à qui je me suis adressée pour les secours et les policiers au commissariat se sont ri de moi, sous mes yeux. Je me suis sentie incroyablement seule...", explique Loubna Abidar, qui a réussi à sauver son visage grâce à un chirurgien esthétique.
"J'ai fait des déclarations de colère que je regrette. Je ne savais plus où j'étais. Alors j'ai décidé de quitter le Maroc. C'est mon pays, je l'aime, j'y ai ma vie et ma fille, j'ai foi en ses forces vives, mais je ne veux plus vivre dans la peur", déclare l'actrice marocaine. ‘'Au fond, on m'insulte parce que je suis une femme libre. Et il y a une partie de la population, au Maroc, que les femmes libres dérangent, que les homosexuels dérangent, que les désirs de changement dérangent. Ce sont eux que je veux dénoncer aujourd'hui, et pas seulement les trois jeunes qui m'ont agressée...'', conclu Loubna Abidar, aujourd'hui réfugiée en France où elle devrait poursuivre son combat et encore faire entendre sa voix.