Feu Moustapha Ould Mohamed Saleck : l’armée ne voulait pas rester au pouvoir et était venue pour instaurer la paix et redresser l'économie, témoigne Ahmedou Ould Sidi Ould Hanenna* | L'Information

Feu Moustapha Ould Mohamed Saleck : l’armée ne voulait pas rester au pouvoir et était venue pour instaurer la paix et redresser l'économie, témoigne Ahmedou Ould Sidi Ould Hanenna*

lun, 12/18/2023 - 17:05

La première fois que j’ai rencontré Moustapha Ould Mohamed Saleck, c’était en 1962, lors du procès des événements de Néma. Il jouissait déjà d’une grande notoriété et d’une bonne réputation. C’était l’un de nos plus hauts gradés à cette période. Ils étaient encore rares au niveau de la Mauritanie.

Moustapha faisait aussi partie de la première élite intellectuelle du pays et l’un de ses premiers enseignants.

En plus de son grade militaire élevé, tous les politiciens, et notamment le Président Moktar Ould Daddah, le considéraient comme l’une des personnalités centrales, en cette période particulière du lendemain de l’indépendance, dans laquelle la Mauritanie était confrontée à de sérieux défis se rapportant même jusqu’à son existence.

Après notre première rencontre sommaire, citée plus haut, on a perdu le contact durant une certaine période, puisque je suis parti à l’étranger de 1962 à 1967. Je l’ai revu à mon retour, lors du passage, à Nouakchott, de  notre père Sidi Ould Henoune (chef général des Oulad Daoud) qui l’avait reçu et lui avait réservé un accueil plus que chaleureux, à la résidence d’El Marhoum, Ebba Ould Enna. C’était à l’époque l’un des seuls hommes de notre ensemble à avoir étudié à l'école militaire française. 

 
Je vais ensuite aller le revoir à son domicile autour d’un thé où j’ai fait la connaissance de son épouse Lyakher, ainsi que du reste de la famille. Depuis lors, le contact n’a jamais été rompu.

Durant tout ce temps, j’ai pu apprécier les très nombreuses qualités et valeurs dont jouissait cet homme et que tout le monde lui connaissait : l’honnêteté, l’intégrité, la droiture, la rigueur,  aussi bien sur le plan religieux que moral, et la foi en la patrie. 

De mon point de vue, c’est pour ces valeurs que Moustapha jouissait d’une excellence estime auprès du Président Ould Daddah. Je l’ai beaucoup côtoyé quand il était Gouverneur à Néma, puisque j’étais membre du Conseil économique régional dans la wilaya du Hodh Charghi (appelée première région à l’époque). On se voyait souvent, lors de cérémonies officielles et des réunions de travail, notre pays à l’époque était soumis à des turbulences régionales intenses.

Au début de la guerre du Sahara, je n’étais pas en Mauritanie, quand le conflit a éclaté en 1976. Je dirigeais notre Ambassade à Alger et avais en charge autant le dossier civil que militaire. Le premier article critiquant la Mauritanie pour sa position sur la question du Sahara, a été publié en 1976, dans le journal algérien Al Moudjahid sous le titre : «Moktar et  le jeu des Toubines »…. Bref, je vous épargne les détails, mais j’ai vécu tout ce qu’une personne expatriée, en milieu hostile, peut endurer, d’isolement, d’exil politique et diplomatique, …etc. 

A mon retour à Nouakchott, j’ai été reçu par le Président Moktar Ould Daddah qui m’a félicité pour le travail accompli et m’a invité à prendre contact avec le ministre des affaires étrangères.

La guerre s’est amplifiée et les pertes consécutives à ce conflit se sont fait ressentir sur tous les plans (politique, économique et militaire ...). Alors qu’il était Directeur général de la SONIMEX, Moustapha a réussi à persuader le Président Mokhtar et les personnalités influentes de son appareil décisionnel, de son attachement à l’exercice de sa profession de militaire. Il rejoint donc le commandement militaire d’Atar pour prendre part aux combats et qu’il dirigea avec bravoure. Il a même failli se faire prisonnier par le Polisario. Il fut ensuite nommé chef d’état-major de l’armée nationale. Quelques mois, après il y eut le coup d’Etat du 10 juillet 1978. A ce moment, j’étais en poste à l’Ambassade de Mauritanie à Tunis.

Comme je suivais toujours de près et scrupuleusement le déroulement des événements, je me présentais au bureau avant tous. J’y étais seul ce matin là, où j’ai répondu à un appel téléphonique adressé à notre Ambassade par le ministère tunisien des affaires étrangères, dans lequel, on me demandait des précisions sur le coup d’Etat survenu à Nouakchott. Mon interlocuteur m’informât alors qu’ils ont reçu un télégramme urgent, encore incomplet, indiquant que les chefs militaires ont renversé le Président Ould Daddah. Tout le monde était surpris par la nouvelle.
 
Pour ma part, je n’étais pas étonné par cela, car je savais que la situation s’était  considérablement dégradée et que j’avais entre mes mains, le dossier des officiers tués ou fait prisonniers dans ce conflit, que  mes renseignements personnels et ceux puisés des hommes  politiques  font que je ne suis guère surpris par le putsch. 

Je suis revenu au pays une année plus tard au moment de l’effervescence de la révolution iranienne en 1979. J’ai rencontré Moustapha et avons longuement parlé de cette révolution mais aussi de la situation qui prévalait à l’époque en Mauritanie.

Il était préoccupé par l’établissement d’une démocratie consensuelle dans le pays. Il avait mis en place un conseil national consultatif élargi, au sein duquel figuraient  toutes les composantes nationales. 

Il avait d’ailleurs prononcé un discours devant ce nouveau Conseil consultatif, dans lequel, il avait réaffirmé que l’armée ne voulait pas rester au pouvoir et qu’elle était venue pour instaurer la paix, redresser l'économie nationale et installer des institutions démocratiques. C’était en avril 1979.

Aussitôt, certains se sont opposés à cette orientation et lorsque des officiers sont entrés en lice, Moustapha a préféré se retirer en démissionnant. Ainsi se brisait le tout nouveau processus démocratique initié.

* Ahmedou Ould Sidi Ould Hanenna, diplomate et ancien ministre