En Gambie, sous le dictateur a percé un démocrate | L'Information

En Gambie, sous le dictateur a percé un démocrate

ven, 12/02/2016 - 16:25

Despote fantasque et assumé, Yahya Jammeh, président tout-puissant de la Gambie depuis 22 ans, a reconnu vendredi sa défaite lors de l'élection présidentielle organisée la veille. À la surprise générale.

L'événement ne fera sans doute pas les gros titres, mais c'est pourtant l'une des nouvelles les plus surprenantes qu'ait connue l'Afrique depuis longtemps. Vendredi, le président gambien Yahya Jammeh, au pouvoir depuis 22 ans, a reconnu sa défaite à l'élection présidentielle de jeudi face à son opposant, Adama Barrow. «Il est vraiment exceptionnel que quelqu'un qui a dirigé le pays aussi longtemps ait accepté sa défaite», a assuré le chef de la commission électorale. «On s'attendait à tout, mais vraiment pas à ça!», renchérit un diplomate encore interloqué.

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Ce n'est pas la défaite qui surprend, tant les habitants de ce petit pays anglophone enclavé dans le Sénégal étaient las de la misère, de la brutalité du régime, au point que 500 000, sur deux millions, avaient choisi de partir, grossissant les bataillons de migrants flottant sur la Méditerranée. C'est précisément parce que la Gambie passait pour un état à fuir, une dictature de la plus belle eau, que nul n'envisageait ce scénario.

Il prend le pouvoir à 29 ans

Jusqu'à vendredi, Yahya Jammeh semblait plus proche de Idi Amin Dada ou de Mobutu que d'un démocrate bon aloi, prêt à céder aux volontés de son peuple. Tous les signaux d'un coup de force électoral, comme au Congo ou au Gabon, avaient été lancés: la campagne avait été violente, internet et les SMS coupés, et le pouvoir avait annoncé qu'il ne tolérerait aucune contestation des résultats…

Déjà, Amnesty International dénonçait des mesures qui «dissipent l'illusion de liberté apparue pendant les deux semaines de campagne électorale». On redoutait l'habituelle répression, dans laquelle Yahya Jammeh excellait. «Dans ce pays, nous n'autorisons pas les manifestations», avait martelé le président, avec sa brusquerie coutumière.

Jammeh était non seulement un dictateur, mais un dictateur aussi assumé que fantasque. Une sorte de caricature. «Je serai président aussi longtemps que Dieu et mon peuple le voudront», affirmait-il il y a quelques mois dans une interview à Jeune Afrique, avant de menacer ses détracteurs: «Ban Ki-moon et Amnesty International peuvent aller en enfer!».

Ce verbe haut, le président, qui exigeait d'être appelé «Son Excellence Cheikh Professeur El Hadj Docteur», en avait sa spécialité depuis que, jeune lieutenant de 29 ans, il s'était emparé en 1994 du pouvoir par un coup de force. Il avait vite troqué son uniforme pour des boubous de luxe, presque toujours blancs, et s'était peu à peu attribué toutes sortes de qualités curieuses.

«Le Roi défiant le fleuve»

Outre sa certitude d'être le meilleur président possible pour la Gambie, d'où son titre de «Babili Mansa», le Roi défiant le fleuve», il s'est dit investi de pouvoirs mystiques, de vastes connaissances «dans la médecine traditionnelle, surtout dans le traitement de l'asthme et de l'épilepsie». Il assure aussi pouvoir «guérir» la stérilité et le sida avec des plantes et des incantations. Les séances de guérison étaient télévisées. À la fin des années 2000, il avait aussi organisé une chasse aux sorcières, au sens propre, dans tout le pays.

Jammeh chassait également les sorcières de manière figurée. Les opposants, réels ou supposés, comme les journalistes étaient régulièrement arrêtés, battus. En 2014, le responsable d'un parti d'opposition était même mort en détention, suscitant de lourdes critiques internationales. «Où est le problème? Des gens qui meurent en détention ou durant des interrogatoires, c'est très commun», avait rétorqué Jammeh en juin dernier.

Atterrés, les commentateurs n'avaient même pas relevé la provocation, attendant juste la prochaine lubie du despote. Ils étaient bien certains qu'il y en aurait une. Ils avaient raison. Mais ils ne s'attendaient sûrement pas à cet improbable retrait

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