Mauritanie, il faut brûler les livres esclavagistes | L'Information

Mauritanie, il faut brûler les livres esclavagistes

dim, 04/29/2018 - 19:29

 

Le 27 Avril 2012, Biram Dah Abeid et quelques rares compagnons de lutte procédaient, à Nouakchott, à l’incinération publique d’opuscules dits de « droit musulman » qui organisent dans le détail, les règles d’usage de l’institution esclavagiste. Une chronique du président d’IRA Mauritanie Biram

 

Cette littérature, à la fois empreinte de piété sélective et de racisme, explique au fil des siècles, comment jouir du travail d’un humain hérité ou acheté, le transmettre par succession, le vendre et abuser sexuellement de femmes acquises sous un tel statut. Les manuels, transmis d’une génération de bourreaux à la suivante, façonnent, encore, la formation juridique de magistrats, d’auxiliaires de justice, de gendarmes, de policiers et de fonctionnaires de l’administration territoriale. Le corpus ainsi dupliqué à l’infini cimente l’idéologie de la supériorité ethnique, derrière le bouclier de la référence sacrée à l’Islam. En 2018, l’Etat mauritanien autorise et subventionne la promotion de cette prose du mépris, pendant les cycles de formation de certaines catégories de ses agents. Les établissements d’éducation à vocation confessionnelle continuent à endoctriner des milliers de jeunes à l’inégalité par ascendance, violant alors l’esprit et la lettre du Coran.

 

Dès la commission de l’acte subversif du 27 avril, d’ailleurs sans précédent dans l’histoire de la Mauritanie, la mouvance des tenants de la conservation, du privilège et de la naissance hiérarchique se mit à différer ses contradictions, pour exiger la mise à mort des contrevenants. Excommunication et appels au meurtre résonnaient dans les mosquées, les écoles religieuses, des états-major des partis politiques, la rue et jusqu’à l’intérieur des édifices sous l’autorité du gouvernement. Particulièrement virulente, la société maure, par delà ses clivages et discordes tribales et politiques, se mobilisa en manifestations plus ou moins spontanées, avec la certitude d’obtenir l’éradication de la dissidence. Tous les arguments, depuis archivés, exigeaient une leçon exemplaire contre les « ennemis de la foi », fossoyeurs de présumés commandement du Ciel, dont le caractère immuable ne souffrirait de contestation, sous peine de précipiter l’Apocalypse. Il s’en trouva même, y compris parmi les officiels, à déclarer, ces ouvrages d’imposture, partie intégrante de la Charia et, partant, supérieurs aux instruments de droit international, dûment ratifiés

 

Il fallait porter un coup décisif à la compacité de l’idéologie essentialiste, la déstabiliser au noyau de sa reproduction, en somme la stériliser à la source de son délire. Ainsi fut fait, en plein jour, devant des centaines de témoins, à la sortie de la prière du vendredi. Nous agissions en musulmans certes mais, d’abord, sous la dictée de notre appartenance à l’espèce humaine. Dès lors, l’ébréchure occasionnée à l’intérieur du système de domination, ne cesse de s’amplifier ; elle devient béance, désarroi et panne de riposte, devant la détermination des abolitionnistes à multiplier les assauts au cœur de la matrice où l’esclavage s’élabore comme norme et imaginaire social. Aujourd’hui, la résignation des  parias et des cadets sociaux mue en audace, que porte l’enthousiasme d’une espérance, à portée de réalisation. La tromperie de l’instrumentalisation religieuse ayant cédé, le bloc hégémonique ne mène plus qu’une bataille de tranchées – perdue d’avance – quand il s’obstine à défendre son intégrité dans le déni, la falsification et l’esquive. Peu importe le temps dilapidé chez l’oppresseur avant la conscience de sa défaite, les Hratin et autres noirs de Mauritanie s’émancipent de son emprise mentale. Ils ont appris combien la dénomination « République islamique » et les slogans dérivés servaient de liant à une imposture multidimensionnelle ; la fabrique de mensonges, en cours de péremption, prive les mauritaniens de filiation subsaharienne, et autres cadets sociaux, de leur droits naturels, les marginalise du projet de construction nationale et les maintient dans la posture de spectateurs, à la diète de l’économie générale de la prébende ; depuis toujours affamés, sous-éduqués et subalternes perpétuels, ils désertent désormais les géographies de seconde zone et revendiquent leur part à la citoyenneté pratique, point celle du credo lénifiant sur la fraternité entre les fidèles. Hier nous avons été humiliés et blessés au prétexte erroné de la religion et aujourd’hui l’on prétend anesthésier, par le même instrument, notre aspiration à exiger l’équité, le respect, le partage et la fin de l’apartheid économique, social et matrimonial. Une autre victoire consécutive se vérifie dans le nombre croissants de Maures, à présent en phase avec la lutte, du moins dubitatifs sur la viabilité de l’ordre forgé par les strates de la discrimination. Leur concours, que sa rareté valorise d’autant, renforce l’hypothèse d’une conclusion apaisée au contentieux.

 

Je ne pourrai finir cette adresse sans souhaiter la bienvenue à mes collègues africaines et africains mais aussi défenseuses et défenseurs de droits humains de toutes nationalités réunis à Nouakchott pour la 62è session de la Commission Africaine des droits de l’Homme et des Peuples. Nous prenons à témoins les membres et affiliés à cette prestigieuse institution qui ont observé de loin et pendant plusieurs décennies la perpétuation de la traite des Noirs, de l’esclavage par la naissance, les perpétrations de tentatives d’épuration ethniques et d’oppressions systématiques contre les autochtones et personnes d’ascendance africaine. Je vous interpelle pour vous dire qu’il est temps de dénoncer l’apartheid non-écrit implanté en Mauritanie

 

 

 

III. La perspective

 

C’est cet anniversaire que nous célébrons, le 27 avril 2018, forts de sa justesse et résolus à repousser les limites de l’avantage non-violent, pour une Mauritanie de la modernité et de l’ouverture au monde, loin des mirages de l’extrémisme, de la haine de l’Autre et de la défiance envers les droits universels de la personne.

 

Sans l’égalité, nous ne vivrons jamais en paix,  au risque d’un génocide, hélas possible dans les deux sens

 

Mondafrique